Bons résultats de candidats socialistes aux élections locales

par Dan La Botz
Kshama Sawant participant à une marche en défense d'un salaire minimum de 15 dollars de l'heure. © Dennis Bratland

Les résultats étonnamment bons obtenus par les socialistes (1), Kshama Sawant et Ty Moore, dans les élections aux conseils municipaux à Seattle et à Minneapolis ont attiré l'attention de la gauche et même des médias dominants. Les campagnes fortes et le grand nombre de voix obtenus - Sawant a remporté l'élection et Moore obtenu <b>42 %</b> des voix dans son district - font penser que quelque chose change politiquement aux États-Unis.

Kshama Sawant, enseignante en économie dans un collège, membre du syndicat des enseignants et militante du mouvement Occupy Seattle s'est présentée comme candidate ouvertement socialiste (1) au Conseil de ville de Seattle contre le démocrate Richard Conlin, qui en était membre de longue date. La campagne de Sawant a reçu le soutien de quatre syndicats majeurs, d'organisations de défense de l'environnement et de nombre de personnalités de gauche. De même, Ty Moore, un ancien chauffeur de bus et organisateur de quartier, s'est présenté au Conseil de ville de Minneapolis avec l'appui d'un grand syndicat, d'une organisation LGBT, du parti Vert et d'une organisation locale se battant contre les expulsions d'habitants. Les deux campagnes furent organisées par Socialist Alternative, une organisation de tradition trotskiste affiliée au Comité pour une internationale ouvrière (2).

Une exception politique

Ces campagnes sont d'autant plus remarquables qu'elles sont une exception politique aux États-Unis. Il y a plus de 100 ans qu'Eugene Debs, dirigeant du syndicat des chemins de fer, s'est présenté comme candidat socialiste à la présidence en 1912, engrangeant 900.000 voix, soit 6 % du total. Les partis socialiste et communiste ont présenté des candidats au cours années 1920 et 1930, mais en ne recueillant qu'un nombre infime de voix. Au milieu des années 1930, tant les socialistes que les communistes en étaient arrivés à soutenir tacitement le Parti démocrate et, à l'exception des candidatures à répétition de Gus Hall pour le PC, il y a eu peu de candidatures socialistes durant les années 1950 et 1960.

Au cours des années 1970, le Socialist Workers Party (alors organisation liée à la IVe Internationale) mena de nombreuses campagnes électorales, locales, à l'échelle des États ou nationales, comprenant la candidature à la présidence de Peter Camejo en 1976. Des groupes maoïstes aux USA, marchant dans les traces des PC de la période des Fronts populaires, ont soutenu certains candidats démocrates et ont travaillé avec enthousiasme à la campagne de Jesse Jackson, leader afro-américain du mouvement des droits civiques, qui a brigué la présidence en 1984 et 1988. Seul le petit et très sectaire Party of Socialism and Liberation a eu une présence significative à l'occasion d'élections locales.

Depuis, la gauche étatsunienne a soutenu les campagnes du Parti vert, principalement la campagne de Ralph Nader en 2000 qui a obtenu 2,7 % des votes. Durant les années 2000, la plupart des militants et militantes de la gauche étatsunienne ont travaillé dans des syndicats et des mouvements sociaux, sans tenter de créer une alternative politique socialiste. Ma propre campagne (newpol.org/content/socialist-campaign-ohio) dans l'Ohio pour un siège au Sénat a été l'une des rares exceptions. Les campagnes de Sawant et Moore sont donc un développement bienvenu.

Comment expliquer ces bons résultats ?

Les bons résultats de Sawant et Moore dans ces élections sont significatifs du fait de la taille et de l'importance des villes en question. Seattle a 650.000 habitants avec une zone urbaine qui en comprend 3,7 millions, alors que Minneapolis a 400.000 habitants avec une zone urbaine de 3,3 millions. Seattle est une ville importante du pourtour du Pacifique avec des liens économiques avec la côte ouest des États-Unis, le Canada et l'Asie, alors que Minneapolis est un nœud économique du Midwest, qui n'est dépassé que par Chicago. Ainsi, les résultats forts de socialistes dans ces villes ont une signification nationale.

Pourquoi Sawant et Moore ont-ils si bien réussi ? Les deux ont des personnalités engageantes et sont des militants respectés dans leurs communautés qui ont construit de fortes organisations de campagne. Les deux ont fait campagne sur des thèmes d'importance non seulement locale, mais nationale. Sawant par exemple a fait campagne pour une augmentation du salaire minimum de 7,25 à 15 dollars, pour une imposition accrue des millionnaires et des grandes entreprises afin de financer des emplois, l'éducation et les services publics locaux, pour l'organisation syndicale des travailleurs et travailleuses aux plus bas salaires, pour des logements à prix abordable, pour en finir avec le profilage racial et la brutalité de la police, pour un moratoire sur les déportations, pour des droits civiques pour les sans-papiers et pour un financement adéquat pour des écoles publiques avec des effectifs de classe plus petits.

La perspective socialiste

Sawant et Moore n'ont pas parlé que de problèmes locaux immédiats, mais aussi de la nécessité de remplacer le capitalisme par le socialisme. Le site internet de Sawant proclamait : " La seule solution c'est de se battre pour changer le système et remplacer le capitalisme, système d'exploitation dont le moteur est le profit, par une société socialiste et démocratique. Rejoignez-nous dans la lutte pour une alternative socialiste afin de libérer la planète de la pauvreté, de l'exploitation et de la guerre ! »

On pourrait imaginer que la crise économique et sociale persistante aux États-Unis depuis le crash de 2008, accompagnée par les programmes d'austérité gouvernementaux, a enfin suscité une réaction politique. Et il y a en effet des quartiers dans ces deux villes à haut taux de chômage et dont des centaines d'habitants ont été expulsés de leurs logements, mais Seattle et Minneapolis ne sont pas des villes aussi dévastées que Detroit par exemple. Tant Seattle que Minneapolis ont des économies fortes et diversifiées, avec des taux de chômage et de pauvreté bien en dessous des moyennes nationales. Le taux de chômage à Seattle ainsi qu'à Minneapolis est de 4,7 % seulement, alors que le taux national est de 7,2 % et qu'il est de 18,8 % à Detroit. Seattle et Minneapolis ont bien sûr leurs problèmes, mais elles sont parmi les villes étatsuniennes qui se portent le mieux.

Qu'est ce qui explique alors le bon accueil des candidatures socialistes ? Il y a des facteurs démographiques et culturels. Les deux villes sont considérées comme progressistes ayant une culture politique tolérante. Elles ont des économies diversifiées et des secteurs industriels de haute technologie qui attirent de jeunes travailleurs et travailleuses avec de bons niveaux d'éducation. Les deux villes ont été classées par la chaîne de télévision CNBC parmi les villes les plus accueillantes pour les jeunes grâce à leurs espaces verts, leur diversité, leurs lieux de fêtes et de loisirs, une culture artistique indépendante et encourageant la création indépendante.

Conscience de classe et contre-culture

Les succès des campagnes de Sawant et Moore s'expliquent peut-être moins par la crise économique et sociale que par les attitudes de jeunes qui se transforment. Ils sont devenus bien plus critiques envers le gouvernement et les corporations, plus ouverts à la diversité raciale, ethnique et de genre et plus préoccupés par les thèmes environnementaux et par la qualité de la vie. Ce que nous voyons peut-être c'est un développement d'une conscience de classe ouvrière en même temps que le développement d'une contre-culture anticapitaliste. On a vu quelque chose de similaire dans les années 1970 quand un mouvement social radical et un mouvement de contre-culture se sont développés simultanément.

Espérons que ces tendances en développement s'incarneront dans des mouvements sociaux plus militants et de nouvelles campagnes politiques socialistes, plus nombreuses. ■

* Dan La Botz, enseignant, écrivain et militant, est membre de l'organisation socialiste Solidarity. Il est éditeur de Mexican Labor News et co-éditeur de la revue New Politics. Cet article a été publié dans le bimensuel suisse " solidaritéS » n° 239 du 5 décembre 2013 (traduit de l'anglais par la rédaction de solidaritéS).

notes
1. Le terme " socialiste » est utilisé dans tout cet article comme voulant dire… partisan du socialisme comme alternative à un système capitaliste dont on doit se débarrasser.

2. Le Comité pour une Internationale ouvrière (CIO, CWI en anglais) est un regroupement international d'organisations trotskistes fondé en 1974 à l'initiative de Militant Tendency, une organisation pratiquant l'entrisme dans la Parti travailliste britannique, dirigée par Ted Grant. En 1991 la majorité de la Militant Tendency, puis du CIO a décidé de mettre un terme à l'entrisme. Ted Grant a été minoritaire et a constitué la Tendance marxiste internationale (IMT).