Notre Helena

par Michael Löwy
Helena, Maria Piôa Valenzuela

Témoignage lors des obsèques au cimetière du Père-Lachaise, à Paris, le 13 janvier 2022.

" La gentillesse, le courage, la modestie » - ce sont les mots par lesquels notre ami Serge Aberdam décrit Maria Pi±a Valenzuela, notre " Helena ».

J'ajouterais encore un mot : la fidélité. La fidélité de toute une vie aux idéaux du socialisme et au mouvement qui lutte pour les réaliser, la IVe Internationale.

Helena n'a jamais oublié les rêves de sa jeunesse au Chili, qui l'on conduit à militer dans les rangs du Parti socialiste révolutionnaire (section chilienne de l'Internationale). Trop modeste, elle parlait rarement de son engagement au moment du coup militaire de septembre 1973. Grâce à l'interview par Olivier Besancenot, dans une vidéo tournée il n'y a pas longtemps par des camarades dans les locaux du NPA, nous savons qu'elle s'est chargée de transporter des armes pour la résistance. Arrêtée par les militaires, dans une opération spectaculaire qu'elle décrit avec ironie, elle fut interrogée, déshabillée, humiliée, torturée à l'électricité : " Je ne savais rien, donc je n'ai rien dit », c'est son seul commentaire. Elle fut aussi internée au Stade de Santiago, avec des milliers d'autres prisonniers politiques. Transportée par la suite dans une prison avec des femmes " droits communs » (surtout prostituées), elle se lia d'amitié avec elles. Ces femmes l'admiraient beaucoup comme militante révolutionnaire et l'ont choisie comme porte-parole.

Après un séjour de deux ans en Irlande - choix imposé par les restrictions dans la plupart des pays - elle finira par arriver en France en 1976. Établie à Paris, elle va adhérer, avec son compagnon Norman, à la Ligue communiste révolutionnaire. C'est à ce moment que nous nous sommes rencontrés et nous avons décidé de créer la cellule latino-américaine de la LCR. Pendant des dizaines d'années elle fut une des principales animatrices de ce travail, notamment en contribuant à créer le Centre d'études marxistes José Carlos Mariategui, qui organisait des conférences sur l'actualité latino-américaine, à la Maison de Cuba ou à la Maison du Mexique de la Cité universitaire. Notre cellule fut un lieu de rencontres inoubliables entre militants exilés - chiliens, argentins, brésiliens… - et des camarades français de la LCR. On discutait, dans une atmosphère d'amitié et de partage, tantôt en français, tantôt en castillan, et on essayait de prendre en main des tâches de solidarité, de propagande, de réflexion. Tout cela aurait été impossible sans l'engagement actif d'Helena.

Je n'ai pas besoin de vous raconter comment Helena a été l'âme vivante infatigable de la librairie La Brèche, pendant toute l'année et au cours des Universités d'été de la Ligue et ensuite du NPA. Une activité qu'elle a menée, dans un esprit solidaire et chaleureux, jusqu'aux derniers mois de sa vie, et qui l'a fait connaître, et aimer, de milliers de camarades, français ou visiteurs étrangers. Ce travail comme libraire était pour elle beaucoup plus qu'un métier : un engagement militant pour la culture révolutionnaire.

Nous avons partagé pendant presque un demi-siècle les joies et les déceptions du combat en France et en Amérique latine. Ses derniers jours ont été éclairés par les nouvelles du Chili, la défaite du fascisme pinochétiste aux élections présidentielles.

Merci Helena ! Hasta Siempre ! Nous ne t'oublierons pas…

 

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