L’importance de la crise de l’Agence brésilienne de renseignement

par Israel Dutra
Après les révélations, le clan Bolsonaro tente de s'expliquer!

Les récentes révélations sur l’existence au sein de l’ABIN (Agence Brésilienne de Renseignement) d’une structure parallèle montrent l’urgence d’une lutte acharnée contre l’extrême droite intégrée à l’appareil d’État.

Le lundi 29 janvier au matin, la police fédérale a effectué une perquisition à la résidence d’été des Bolsonaro à Angra dos Reis. La cible prioritaire était le conseiller municipal [pour Rio de Janeiro] Carlos Bolsonaro, qui, selon des sources, était parti pêcher en bateau” pour ne pas se trouver sur les lieux au moment de l’opération. Une scène tragicomique, un nouveau chapitre d’un événement qui révèle l’une des “âmes” du bolsonarisme. Une crise qui a commencé avec l’opération de la police fédérale contre la machine á espionner montée par Bolsonaro, et coordonnée par l’ancien chef de l’Agence brésilienne de renseignement (ABIN), Alexandre Ramagem.

Comme l’a dit le journaliste Leonardo Sakamoto, nous sommes face à “l’un des plus grands scandales de la République”, et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Il faut y ajouter le fait que Ronnie Lessa [l’exécutant du meurtre de Marielle Franco], ait décidé de collaborer avec la justice, et que les actions des milices de Rio de Janeiro restent impunies, sur la base de relations fallacieuses avec le gouvernement.

Nous devons agir de manière décidée, conscients qu’il n’y a pas moyen d’affronter Bolsonaro sans combattre ses fractions ancrées dans l’appareil répressif de l’État. C’est lá une question vitale.

La «République des services»

Ce que l’on sait jusqu’à présent de l’opération menée par la Police Fédérale sur la gestion de l’ABIN par Ramagem est d’une extrême gravité. Plus de 30 000 personnes ont été directement suivies avec le software First Mile liée aux renseignements israéliens; parmi elles, l’ancien Président de l’Assemblée législative Rodrigo Maia, des gouverneurs, ainsi que d’autres personnalités politiques et des membres de l’opposition.

Surnommée “ABIN parallèle” par la presse, l’opération d’espionnage de Ramagem a même surveillé la procuratrice de l’époque de l’affaire Marielle Franco, Simone Sibilo.

L’intention bonapartiste de Bolsonaro était d’utiliser l’appareil d’État pour servir ses propres intérêts, ce qu’il a lui-même révélé dans des interviews, affirmant qu’il avait «son propre service de renseignement». Sa défaite électorale a mis un terme à ses projets, car il est clair que la priorité de Bolsonaro pour un second mandat aurait été d’accélérer le processus de contrôle institutionnel organisé autour de lui.

La question qui se pose est évidemment la suivante : à quoi sert l’ABIN ? A quoi servent les "services", le jargon utilisé pour désigner les organes de renseignement et de contrôle interne ? L’ABIN est l’héritière du SNI ([Service National d’Information], créé immédiatement après le coup d’Etat militaire de juin 1964. Comme l’a révélé un récent rapport d’Intercept, pendant le gouvernement de FHC [Fernando Henrique Cardoso], l’ABIN a surveillé le MST et les secteurs les plus à gauche du PT. L’ABIN est l’un des piliers de l’appareil répressif de l’État brésilien et c’est au sein de cet appareil répressif, aux multiples visages et dispositifs, que les secteurs bolsonaristes évoluent dans l’ombre.

Ramagem est un personnage qui exprime ces liens, et c’est un candidat à la mairie de Rio bien placé dans les premiers sondages d’opinion. Un autre personnage de cette intrigue est Carlos Jordy, un des principaux bolsonaristes, député fédéral faisant l’objet d’une enquête pour sa participation [á la tentative de putsch] du 8 janvier et candidat à la mairie de Niterói.

L’œuf du serpent

Il est urgent de s’attaquer au néofascisme et à l’extrême droite. Toutefois, il ne peut s’agir d’un simple slogan ou d’une rhétorique électorale.

En tirant le fil du scandale de l’ABIN parallèle on tombe sur un autre dander, plus grave, plus réel: paramilitaires liés à Bolsonaro et leurs liens avec l’appareil répressif. Des couches entières du bolsonarisme restent intactes et sont toujours à l’œuvre – milices urbaines et rurales, groupes en arme liés à l’exploitation minière et forestière, secteurs des forces armées, crime organisé lié au trafic de drogue et aux jeux d’argent – et doivent faire l’objet d’une enquête profonde. C’est une honte nationale que, six ans plus tard, nous ne sachions toujours pas qui a commandité les meurtres de Marielle Franco et d’Anderson Gomes.

Il existe un fil conducteur – de plus en plus visible – qui unit les actions de ces groupes. Le groupe armé “Invasão Zero”, qui a assassiné la leader indigène Maria de Fátima Muniz Andrade, connue sous le nom de Nega Pataxó, à Bahia, est l’un des bras paramilitaires des ruralistes liés à Bolsonaro dans la région.

Le gouvernement fédéral doit profiter des répercussions du scandale des contrôles ABIN, et pas seulement pour discréditer Bolsonaro et son clan. Il doit discuter sérieusement des liens entre les groupes paramilitaires et les agents politiques et économiques, ainsi que les membres des forces armées, afin de s'attaquer au véritable œuf du serpent.

Des mesures nécessaires

  • Face à la gravité des faits, des mesures d’urgence s’imposent. Bolsonaro et son clan doivent être arrêtés immédiatement. Les sphères dirigeantes de l’ABIN et de la police fédérale doivent faire l’objet d’une enquête et ceux qui sont liés à la machine d’espionnage doivent être exclus de la fonction publique.
  • Il est essentiel de faire avancer la lutte contre les milices – dans les campagnes et dans les villes – c’est une tâche démocratique urgente.
  • A l’occasion de la marche du 14 mars, six ans jour pour jour après l’assassinat de Marielle et Anderson, la gauche et des mouvements sociaux doivent se prononcer en faveur d’une lutte cohérente pour obtenir ces mesures concrètes.
  • Nous devons discuter d’une vaste réforme de la sécurité publique dans le pays, en luttant pour éliminer les décombres de la dictature, qui constituent un véritable terreau pour l’extrême droite. En ce sens, le gouvernement fédéral accentue le pire dans la logique sécuritaire et la guerre contre la population pauvre et noire du pays en investissant dans la privatisation des prisons.
  • Enfin, renforçons l’appel à ” Pas d’amnistie ” pour les putschistes et les miliciens, en combinant les revendications avec une mobilisation démocratique permanente.