La « protection de l’État » italienne et les dix points d’Ursula Von Der Leyen

par Fabrizio Burattini
Réfugié mineur dans un camp situé au nord-est de l’île grecque de Lesbos, 30 janvier 2016. © Par Mstyslav Chernov/Unframe - CC BY-SA 4.0.

La décision arrogante et indécente du gouvernement italien d’imiter les mafias qui gèrent les camps libyens, en demandant aux migrants de payer une « protection de l’État » (pizzo di stato) de pas moins de 4 938 € pour éviter de se retrouver dans les camps italiens que Meloni et Piantedosi (1) ont l’intention de multiplier dans la péninsule, résume bien la politique de la droite au pouvoir.

Paix avec les banques, guerre aux migrants

Alors que vient d’être annulée la proposition démagogique de taxer les milliards de superprofits des banques accumulés sur le dos des citoyens contraints de payer des intérêts d’emprunt astronomiques (proposition qui avait fait croire aux crédules que le gouvernement était du côté des plus pauvres), ils veulent gagner de l’argent sur le dos des migrants. En effet, le gouvernement est conscient du fait que, malgré les mémorandums signés avec les dictateurs, malgré les « dix points » émis par la présidente de l’Union européenne Ursula Von Der Leyen, malgré les messages menaçants de la Première ministre et de ses ministres, les migrants continueront d’affluer en Italie et en Europe.

Cette extorsion, décidée par le gouvernement, est censée peser sur les migrants arrivant de « pays sûrs », c’est-à-dire de pays où il n’y a pas de guerre ou de restrictions des droits démocratiques et des droits humains. Mais on se demande bien, en particulier pour les pays du Sud, quels pays peuvent être qualifiés de « sûrs » ?

Les autres mesures prévues dans les nouveaux décrets d’urgence non seulement ne résoudront pas la prétendue urgence et non seulement porteront atteinte aux droits et à la dignité humaine des migrants, mais cela constitue également une nouvelle attaque de plus en plus grave contre la démocratie dans notre pays. Il suffit de les mentionner :

• multiplication des Centres de Permanence pour le Rapatriement (CPR), leur codification en véritables camps de concentration (« faciles à surveiller et placés dans des zones à très faible densité de population »),

• extension de la durée de la « détention administrative » jusqu’à 18 mois même pour les « demandeurs d’asile »,

• délégation de la gestion des CPR au ministère de la Défense, c’est-à-dire aux forces armées,

• menace renouvelée d’un « blocus naval » par le biais de mémorandums et d’accords avec les dictateurs des pays d’origine et de transit…

Une situation d’urgence fantasmée

Des cris d’urgence ont été lancés car, en une semaine, des dizaines de milliers de migrants sont arrivés en Italie.

Mais regardons les chiffres : selon les données les plus récentes, le nombre total de personnes dans le monde fuyant les persécutions, les conflits et la violence est estimé à 108,5 millions. 40 % des réfugié·es sont des enfants. Les pays qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés sont la Turquie, l’Iran, la Colombie, l’Allemagne et le Pakistan. Les trois quarts des réfugié·es dans le monde sont accueillis dans des pays à revenu faible ou intermédiaire.

En 2022, l’Union européenne comptait 880 000 demandeur·es d’asile et 540 000 en 2021 – soit moins de 1 % des réfugié·es dans le monde et moins de 2 % de la population européenne.

Mais, malgré les dimensions tout à fait gérables du phénomène, l’approche d’échéances électorales délicates (les élections européennes de juin prochain) pousse tous les gouvernements et partis institutionnels de l’UE à rivaliser pour se distancier de toute politique d’accueil sérieuse et à reporter sine die la révision du traité de Dublin.

Politique de visas raciste et classiste

D’autre part, ni l’UE ni les pays qui la composent et qui adhèrent au traité de Schengen n’ont jamais envisagé de redéfinir les politiques d’accès des « ressortissants de pays tiers », qui ont toujours été marquées par des principes racistes et discriminatoires explicites.

Le règlement européen sur les visas (Règlement (CE) n° 539/2001) énumère depuis 2001 les pays dont les citoyens doivent être en possession d’un visa pour entrer dans les pays de l’UE (franchissement des « frontières extérieures »), en les divisant en une « liste blanche » (pays dont les citoyens sont exemptés de l’obligation de visa) et une « liste noire » (pays dont les citoyens sont soumis à l’obligation de visa et pour lesquels les autorités consulaires européennes disposent donc d’un pouvoir discrétionnaire).

En réalité, même ce « pouvoir discrétionnaire » est extrêmement limité et classiste car, dans la pratique, il n’accorde des visas aux ressortissants non européens des pays figurant sur la « liste noire » que s’ils peuvent prouver qu’ils disposent d’un patrimoine et d’un revenu qui excluent l’immigration à des fins professionnelles.

Bien sûr, dans le règlement de l’UE sur les visas, la « race », la religion et la classe sociale ne sont pas explicitement mentionnées comme critères pour l’établissement des deux listes noire et blanche. Mais l’approche discriminatoire, raciste et classiste est néanmoins évidente : tous les pays africains (aucun n’est exclu) figurent sur la liste noire ; en ce qui concerne l’Asie, seuls le Japon, la Corée du Sud, la Malaisie, Brunei, Singapour, Taïwan, le Timor oriental, les Émirats arabes unis et Israël en sont exclus. L’orientation religieuse a également un impact puisque – à l’exception de Singapour, de la Malaisie, de Brunei et des Émirats arabes unis – les citoyens de tous les pays à majorité musulmane sont soumis à l’obligation de visa, de même que tous les pays à majorité hindoue ou bouddhiste. Et un examen objectif des deux listes révèle également une forte corrélation de classe avec le PIB par habitant des différents pays, à certains égards encore plus forte que celle avec la couleur de la peau et l’orientation religieuse.

D’autre part, au cours des 22 années qui se sont écoulées depuis l’établissement des listes initiales en 2001, les deux listes n’ont été modifiées que de manière très marginale, comme, par exemple, avec la modification de la liste d’exemption de visa pour plusieurs îles des Caraïbes (Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Barbade, Dominique, Grenade, Sainte-Lucie, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Trinidad-et-Tobago), Maurice, les Seychelles et certaines îles du Pacifique (Kiribati, Îles Marshall, Micronésie, Nauru, Palau, Samoa, Îles Salomon, Tonga, Tuvalu et Vanuatu). La motivation « touristique » de ces changements de liste est évidente.

Par ailleurs, c’est le concept même de « réfugié politique » qu’il convient de reconsidérer, en incluant dans les critères les raisons qui justifient bien souvent le choix de migrer, telles que l’absence réelle de perspectives économiques, l’insécurité environnementale dévastatrice, les inégalités croissantes, la corruption des élites…

Et le refrain raciste du « aidons-les chez eux », même en supposant que l’on veuille le faire « de bonne foi » et en fournissant des fonds adéquats, se heurte structurellement aux responsabilités des anciens pays colonisateurs. Ces derniers n’ont-ils pas confié leurs anciennes colonies à des dirigeants totalement indignes de confiance et complices du comportement prédateur du néocolonialisme, pas très différent du colonialisme direct du XIXe siècle ?

Le plan de la présidente de l’UE

Les dix points du « plan européen » présentés par Ursula Von Der Leyen après sa visite à Lampedusa en septembre ne présentent pas d’éléments nouveaux.

• Le point 1 (la promesse d’une « aide européenne » à l’Italie pour faire face à une « urgence » inventée) ne sert qu’à masquer l’impréparation coupable et l’inertie démagogique du gouvernement Meloni (qui a été dénoncé par les citoyens de Lampedusa).

• Le point 2 (« intensification des efforts » de l’UE pour transférer les migrants vers d’autres destinations, sur la base du « mécanisme de solidarité volontaire ») est également une intention pieuse, explicitement contrecarrée non seulement par les pays « souverainistes », mais aussi par d’autres pays faisant partie du « cœur de l’UE ».

• Le point 3 (« soutien des structures de Frontex pour les rapatriements »), le point 4 (« actions accrues pour lutter contre les trafiquants »), le point 5 (« intensification de la surveillance aérienne et navale » par Frontex), le point 6 (« actions concrètes contre la logistique des trafiquants », garantissant la saisie et la destruction des embarcations utilisées) sont autant de déclarations qui abordent le problème des « trafiquants » dans une logique conspirationniste, comme si le phénomène des migrations massives était une conséquence des actions des trafiquants et non le résultat du désespoir de communautés entières de milliers de personnes prêtes à tout pour partir.

• Le point 7 (« aide du personnel de l’Agence européenne pour l’asile » pour accélérer l’examen des demandes présentées par les migrants en rejetant celles qui ne sont pas motivées et en renvoyant dans leur pays d’origine ceux qui les ont présentées) peut être utile pour accélérer la lenteur et l’approximation scandaleuses avec lesquelles les commissions italiennes en charge examinent les demandes d’asile et de protection, mais ses effets dépendent en fin de compte de la volonté ou non de faire une politique d’accueil sérieuse, ce qui est totalement démenti par les choix faits par le gouvernement Meloni au cours de ces derniers mois.

• Le point 9 (« renforcer la coopération avec les agences de l’ONU » pour assurer la protection des migrants également lors des rapatriements) et le point 10 (« mise en œuvre du mémorandum avec la Tunisie ») montrent la complicité totale de l’UE avec les politiques de refoulement que le gouvernement italien voudrait mettre en œuvre.

• Reste le point 8 (« offrir des alternatives viables aux routes illégales par le renforcement des corridors humanitaires »), qui constitue peut-être la seule nouveauté du plan, mais qui est probablement destiné à rester lettre morte, dans le contexte démagogique de la campagne électorale et de l’utilisation cynique de la question pour tenter d’augmenter le poids politique des différents partis.

Les vraies raisons de la politique gouvernementale

La réponse à donner à la question des « migrants » ne se mesure pas seulement sur le terrain « humanitaire ». Pour l’économie du capitalisme italien, la possibilité d’exploiter une main-d’œuvre qui peut faire l’objet d’un chantage parce qu’elle est « irrégulière » est un facteur de profit absolument non négligeable. C’est la source de l’opposition constante à toute hypothèse de régularisation des flux migratoires.

Elle a également une « valeur d’usage » politique. La dénonciation permanente d’un « bouc émissaire », le discours récurrent sur une « urgence face à l’invasion » contribuent à détourner l’électorat petit-bourgeois mais aussi populaire des vrais problèmes sociaux et des vraies responsabilités des classes dirigeantes. Ils tentent de créer un consensus autour de ceux qui veulent que des mesures répressives soient prises. Mesures qui en réalité seront utilisées non seulement contre les migrants, mais contre tout le monde.

Nous sommes – et nous le disons haut et fort – pour l’octroi immédiat de permis de séjour à toutes et à tous et pour que la liberté totale de circulation soit partout reconnue.