Résistance antinazie, ouvrière et internationaliste. De Nantes à Brest, les trotskistes dans la guerre

par Jean-Paul Salles

Malgré les difficultés du temps, les trotskistes français, dont le premier organe de presse, la Vérité, datait de 1929, poursuivirent leurs activités. De 1940 à 1945, la Vérité parut clandestinement sans interruption, d’abord ronéotée puis imprimée, de même que les périodiques locaux comme Bretagne rouge, le Front ouvrier ou le Prolétaire de l’Ouest. Non seulement les auteurs citent largement ces publications – pour la Vérité ils disposaient de la réédition en fac-similé réalisée en 1978 par EDI –, mais ils ont aussi retrouvé les numéros manquants des journaux régionaux, des tracts, dans des papiers de famille. Ils ont également fait bon usage des Mémoires écrites par les acteurs et actrices de cette histoire, dont certains ou certaines ont pu être interrogé·es avant leur disparition. Enfin ils n’ont pas négligé les sources policières, les rapports des officiers des renseignements généraux au préfet conservés aux Archives départementales de Loire-Inférieure.

Ceci nous vaut un ouvrage solide sur un groupe de militant·es de province qui ne s’est pas contenté de commenter la situation mais qui a tenté d’intervenir dans les villes (Nantes, Brest, mais aussi Couëron, Quimper) et les usines où ils étaient implantés, en liaison avec la direction nationale de leur organisation, le Parti ouvrier internationaliste (POI) puis Parti communiste internationaliste (PCI), section française de la IVe Internationale. On connaissait un peu le travail de fraternisation mené par ces internationalistes en direction des soldats allemands, prolétaires sous l’uniforme, qu’ils tentèrent de retourner contre les nazis. Ce livre nous donne tous les détails d’une entreprise audacieuse qui se traduisit dans un premier temps par un succès à l’Arsenal de Brest, avant d’être découverte et réprimée férocement par les nazis. Une quinzaine de soldats allemands avaient été organisés autour d’un journal, Arbeiter und Soldat, réalisé grâce au trotskiste allemand Martin Monath (Widelin) – un livre bien informé sur ce militant, écrit par Nathaniel Flakin, a été édité en 2021 par Syllepse. La présence à Brest du militant nantais Robert Cruau, postier connaissant la langue allemande, fuyant sa ville de Nantes pour échapper au STO, permit un moment la publication d’une feuille rédigée par les soldats allemands approchés par les trotskistes : Zeitung für Soldat und Arbeiter im Westen. Après quelques mois, à la fin de l’année 1943, le groupe fut décimé par la répression, Robert Cruau ainsi que les soldats allemands assassinés par la Gestapo. Les nazis remontèrent jusqu’à la direction nationale du POI, arrêtant de nombreux militants, dont le principal dirigeant Marcel Hic, mort en déportation. Des plans de l’arsenal de Brest transmis à Londres par ces militants avaient permis aux aviateurs anglais de mieux ajuster leurs tirs sur la base sous-marine.

L’autre mérite de ce livre est de nous renseigner largement sur un aspect moins connu du militantisme des trotskistes bretons, l’intervention dans les grandes usines de Nantes et de la Basse-Loire (Batignolles, Dubigeon, Say, Chantiers de Bretagne, Arsenal d’Indret…) avec la volonté de faire en sorte que « la défaite de Hitler soit une victoire ouvrière, non la victoire des banquiers anglo-américains ». « Nous allons vers un nouveau Juin 1936 international plus formidable que le précédent », est-il affirmé dans le numéro 3 de Front ouvrier (août 1943). Il s’agit donc de regrouper les forces ouvrières, par-delà les clivages politiques, pour assurer à la Libération la victoire complète des travailleurs sur les exploiteurs capitalistes. On opposerait ainsi une politique de classe à « la politique chauvine d’union sacrée réformiste et stalinienne » (Conférence européenne clandestine de la IVe Internationale de février 1944, p.118).

Malgré les coups portés à leur organisation, les trotskistes bretons ont su maintenir une activité multiforme pendant la durée de la guerre et aussi en 1946-47, présentant des candidat·es aux élections dans le Finistère. Le poids du PC et des gaullistes ne leur permit pas de sortir de la marge sur le plan électoral, malgré la présentation de militants et de militantes rescapé·es des camps de concentration. Dans ce contexte, les querelles internes affaiblirent un peu plus l’organisation. Ainsi le PC a pu occulter pendant des années après la guerre que l’instituteur Marc Bourhis, un des 27 otages tués dans la clairière de Châteaubriant par les nazis le 22 octobre 1941 en représailles à l’assassinat par des résistants du commandant de la place de Nantes, le lieutenant-colonel Hotz, était un trotskiste, membre du POI. De même, un autre de ces otages fusillés, Pierre Guéguin, maire de Concarneau, l’ami de Bourhis, se rapprochait de la IVe Internationale après avoir quitté le PC suite à la signature du Pacte germano-soviétique en 1939.

 

* Robert Hirsch, Henri Le Dem, François Préneau, Syllepse, 2023, 315 pages, 22 euros.

 

Auteur·es

Jean-Paul Salles

Jean-Paul Salles est docteur en histoire de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Après sa soutenance de thèse, il a été qualifié comme maître de conférences.

Sa thèse a été publiée en 2005 aux Presses universitaires de Rennes, sous le titre La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981). Instrument du Grand Soir ou lieu d’apprentissage ?. Il a participé à plusieurs ouvrages collectifs publiés aux PUR, aux PUF ou chez Syllepse. Membre du Comité de rédaction de la revue Dissidences, il a dirigé ou co-dirigé plusieurs numéros. Collaborateur du Dictionnaire Maitron, il a rédigé plusieurs biographies, notamment celle de Daniel Bensaïd (2006).