« Du fleuve à la mer » la lutte de la Palestine pour le partage de la terre, contre la stratégie de rejet d’Israël

par Michael Karadjis

Michael Karadjis, militant australien, discute de la revendication « du fleuve à la mer », et en défend la légitimité, ainsi que de l’immense recul qu’a constitué, à l’inverse, la demande d’un État palestinien indépendant, objectif qui a correspondu, de fait, à la constitution de bantoustans et à la situation actuelle.

Le slogan « Du fleuve à la mer », brandi lors de manifestations propalestiniennes dans le monde entier, a fait l’objet d’un grand nombre de critiques ignares. Dans les commentaires des médias et les débats télévisés, le slogan est critiqué comme un appel à la « destruction d’Israël », une preuve que les Palestinien·nes ne veulent pas la paix et rejettent tout compromis avec Israël, ou même, de manière plus tranchée, un appel au « génocide », pour « repousser les juifs à la mer ».

La seule Palestinienne du Congrès américain, Rashida Tlaib, a été condamnée, lors d’un vote, par la majorité des législateurs américains pour avoir utilisé ce slogan, alors qu’ils encouragent et facilitent activement un véritable génocide contre les Palestinien·nes, comme Tlaib l’avait affirmé auparavant (1). La motion de censure a qualifié la phrase d’« appel génocidaire à la violence pour détruire l’État d’Israël et son peuple afin de le remplacer par un État palestinien s’étendant du Jourdain à la mer Méditerranée ». Mme Tlaib a réagi avec éloquence à cette calomnie honteuse.

De même, l’éditorialiste australienne de droite Peta Credlin a affirmé à tort dans le Daily Telegraph du 12 novembre que « des dizaines de milliers d’Australiens ont défilé en faveur de ce qui équivaudrait à un nouvel Holocauste, à la destruction d’Israël et à l’expulsion de millions de juifs “du fleuve à la mer” ».

« Du fleuve à la mer » fait référence à l’ensemble de la région historique de la Palestine, c’est-à-dire du Jourdain à l’est jusqu’à la mer Méditerranée à l’ouest. Toute cette zone est actuellement gouvernée par Israël, en trois parties : Israël (dans les frontières d’avant 1967), la Cisjordanie palestinienne occupée, et Gaza devenue un camp de concentration pour les Palestiniens, assiégé et soumis au blocus, actuellement réduite en cendres par les bombardements.

En d’autres termes, à l’heure actuelle, l’État d’Israël, qui est un État du peuple juif (selon la « Déclaration d’indépendance », les Lois fondamentales et la loi sur l’État-nation), règne « du fleuve à la mer » en tant qu’État d’apartheid, comme le disent Amnesty International, Human Rights Watch, l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem et même d’anciens ambassadeurs israéliens dans l’Afrique du Sud de l’apartheid. En outre, l’idée qu’Israël doit régner partout, du fleuve à la mer, et n’autoriser aucun mini-État palestinien, est inscrite dans la charte du parti d’extrême droite Likoud du Premier ministre Benjamin Netanyahou (2) et de tous les autres partis de la droite israélienne dominante.

La première question est donc la suivante : les personnes qui critiquent le slogan lorsqu’il est brandi par des Palestinien·nes condamnent-elles également le racisme inhérent à la domination israélienne partout « du fleuve à la mer », et reconnaissent-elles que le génocide progressif à long terme contre le peuple palestinien est effectivement pratiqué dans cette région depuis 75 ans, et que ce n’est pas un simple slogan ?

La deuxième question est la suivante : étant donné que le peuple palestinien est autochtone dans toute cette région située entre le fleuve et la mer et qu’il vit toujours, malgré les efforts d’Israël, dans toutes les parties de cette région, pourquoi être offensé par un slogan qui demande que les Palestinien·nes vivant partout entre le fleuve et la mer soient « libres » ? Est-ce que ces offensés croient que les Palestiniens ne devraient être libres que dans certaines parties de la Palestine, et esclaves dans d’autres ? Où bien recommandent-ils que les Palestinien·nes ne soient pas libres ?

Est-il vraiment génocidaire ou difficile de concevoir que, dans n’importe quelle partie de la Palestine, les Palestiniens ne doivent pas continuer à être privés de liberté, occupés, dépossédés, enfermés dans des bantoustans, quotidiennement humiliés, affamés, tués en toute impunité et, tous les deux ans, massacrés en grand nombre et ensevelis sous les décombres ?

Ceux qui pensent que pour que les Palestinien·nes soient libres partout, il faut que les juifs soient « jetés à la mer » devraient à la fois lire le programme à long terme du mouvement de libération palestinien et élargir leur horizon politique et leur imagination.

En même temps, si quelqu’un pense simplement que la liberté des Palestinien·nes partout dans le monde signifie « la destruction d’Israël », il lui faut définir ce qu’il entend par « Israël » et ce qui, dans Israël, pourrait être « détruit » par la liberté des Palestinien·nes. Parce que, dans un sens, c’est vrai, la liberté pour les Palestinien·nes du fleuve à la mer, et l’égalité des droits pour tou·tes les habitants – juifs, chrétien·nes, musulman·es, athé·es, Israélien·nes et Palestinien·nes – « détruirait » effectivement un État sectaire fondé explicitement sur la suprématie juive.

Lorsque les Sud-Africains noirs se sont battus pour la liberté en Afrique du Sud, ils et elles n’ont pas spécifié qu’ils ne devaient être libres que dans certains bantoustans définis par les autorités de l’apartheid. Leur victoire pour la liberté des Noirs sur l’ensemble du territoire a effectivement conduit à la « destruction » de l’État suprématiste blanc de l’apartheid en Afrique du Sud, et à l’instauration de droits politiques égaux pour tous ; elle n’a pas nécessité le « génocide » des Sud-Africains blancs en les « poussant à la mer ».

Le contexte du débat

On me répondra que ce n’est qu’un idéal, et que la réalité, c’est que lorsque les Palestiniens brandissent ce slogan, cela signifie qu’ils veulent « vraiment » la Palestine seulement pour eux. « Où iraient les Israéliens ? » J’entends souvent cette question de la part de ceux qui ne connaissent pas bien l’histoire du dernier demi-siècle. Et même si certains admettent que les dirigeants israéliens sont « tout aussi mauvais », cela n’a pas d’importance ; qu’il soit utilisé par des Israélienes de droite ou par des combattants de la liberté palestinienne, le slogan rejette le Saint-Graal de la « solution à deux États », qui serait « la seule solution possible ».

À ce propos, voici quelques éléments qui seront développés plus loin :

• La réalité c’est que ce sont les Palestinien·nes qui ont toujours réclamé un État démocratique égal partout « du fleuve à la mer », depuis les années 1960, et que ce sont les dirigeants israéliens, toutes tendances politiques confondues, qui l’ont toujours rejeté.

• La « solution à deux États » – c’est-à-dire une division de la région « du fleuve à la mer » entre « Israël » avec 78 % du territoire et « la Palestine » avec 22 %, alors que les populations qui y vivent sont à peu près en nombre égal aujourd’hui, sans compter les millions de réfugiés de la Nakba de 1948 – constitue une solution tellement éloignée de la justice que je ne vois pas pourquoi il faudrait l’expliquer ; et pourtant, malgré cela...

• …ce sont les dirigeants palestiniens qui ont accepté depuis longtemps le scénario des deux États, sous une forme ou une autre depuis les années 1970, que ce soit comme un tremplin vers la solution optimale ou comme une « solution » en soi, tandis qu’Israël l’a toujours rejeté et s’est activement employé à en détruire toute possibilité.

• Car même s’il s’agit d’une proposition manifestement injuste pour la Palestine, si elle est combinée au droit de retour des réfugiés palestiniens sur les 78 % de terres « israéliennes » et à l’égalité totale pour les Palestiniens qui y résident (ils sont actuellement des citoyens de seconde zone), elle pourrait encore constituer une version modifiée de la liberté palestinienne « du fleuve à la mer ». Et tout État souverain de la population autochtone portant le nom de Palestine (par opposition à une série de bantoustans semi-autonomes), même sur une petite superficie, menace toujours politiquement l’idée que la terre appartient à Israël.

Nous devons également nous rappeler qu’il n’y a pas d’égalité dans toute cette discussion : les Palestiniens sont le peuple autochtone de toute la Palestine ; Israël existe en raison de la dépossession coloniale du peuple palestinien depuis 1948. Les Palestiniens ne devraient pas être continuellement contraints d’« accepter » le « droit à l’existence » d’Israël (leur colonisateur) comme condition à la liberté palestinienne ou même comme condition à la simple ouverture d’une discussion sur la possibilité d’un mini-État palestinien impuissant ; c’est plutôt la puissance colonisatrice qui devrait être amenée à reconnaître la souveraineté du peuple palestinien en Palestine.

Dans le plan de partage de la Palestine établi par les Nations unies en 1947, le tiers de la population, qui était alors constitué d’immigrants juifs (aux côtés d’une petite population juive autochtone), s’est vu attribuer 56 % des terres ; la majorité des deux tiers, palestinienne, s’est vu attribuer 43 % ; les Palestiniens ont donc naturellement rejeté cette proposition scandaleuse. Il convient de noter qu’en 1946, les gouvernements arabes avaient proposé un plan alternatif : un État démocratique unitaire « dans lequel tous les citoyens seraient représentés et se verraient garantir la jouissance des droits civils et politiques » et où les juifs auraient « une position permanente et sûre dans le pays avec une pleine participation à sa vie politique sur un pied d’égalité absolue avec les arabes » (3).

Israël a réagi en 1948 par la Nakba, la catastrophe, qui s’est traduite par un nettoyage ethnique massif, une série de massacres et d’expulsions horribles et la destruction de 400 villes. Au cours de cette période, le nouvel État d’Israël a étendu son autorité à 78 % de la Palestine, tandis que sur les 22 % restants, la Cisjordanie est passée sous contrôle jordanien et la bande de Gaza sous contrôle égyptien. Les 750 000 Palestiniens victimes du nettoyage ethnique n’ont jamais été autorisés à rentrer chez eux, malgré la résolution 194 des Nations unies de 1948 (4) qui l’exigeait ; eux et leurs descendants sont aujourd’hui près de dix fois plus nombreux.

Programme du Fatah (1969) : « Pour une Palestine démocratique et laïque », pour les chrétiens, les musulmans et les juifs

Après avoir attaqué tous ses voisins en 1967 et s’être emparé de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et de Gaza (ainsi que du Sinaï égyptien et du Golan syrien), Israël a créé une nouvelle situation en réunissant toute la Palestine historique sous un seul gouvernement – un gouvernement non représentatif.

Face à cette situation, le Fatah de Yasser Arafat, devenu la faction dominante au sein de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), a présenté en janvier 1969 le programme historique palestinien « pour une Palestine progressiste, démocratique et laïque dans laquelle les chrétiens, les musulmans et les juifs pratiqueront leur culte, travailleront, vivront en paix et jouiront de droits égaux » (5). Ce programme a été adopté par le 5e Conseil national palestinien (CNP) en février 1969, qui visait « une société démocratique indépendante en Palestine pour tous les Palestiniens, musulmans, chrétiens et juifs ». Ces formulations concernaient l’ensemble de la Palestine « du fleuve à la mer ». Elles s’opposaient au programme sioniste de suprématie juive israélienne du fleuve à la mer.

Puis, en mai 1969, une autre organisation majeure de l’OLP, le Front démocratique pour la libération de la Palestine, propose une version légèrement différente : « le démantèlement de l’entité sioniste et l’établissement d’un État palestinien populaire et démocratique dans lequel arabes et juifs vivraient ensemble sans discrimination » (6), c’est-à-dire du fleuve à la mer, en mettant l’accent sur les deux groupes nationaux plutôt que sur les trois religions. Quel que soit le point de vue, il s’agit d’une solution profondément démocratique.

C’est le programme historique des Palestinien·nes, auquel ils n’ont jamais renoncé ; il n’est pas récent, il date de plus d’un demi-siècle. La calomnie selon laquelle les Palestinien·nes veulent « pousser les Juifs à la mer » n’a tout simplement aucun rapport avec quoi que ce soit. Essayez de ne pas la répéter, à moins que vous ne vouliez passer pour un ignorant.

Compte tenu de l’occupation militaire israélienne brutale, la lutte armée pour parvenir à cette Palestine démocratique et laïque était le recours naturel de la résistance palestinienne, comme cela a toujours été le cas dans les luttes anticoloniales, et c’est un droit reconnu par les Nations unies.

Toutefois, dans son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies en 1974 (7), le chef de l’OLP, Yasser Arafat, a proposé le « rameau d’olivier » comme alternative au « fusil » pour réaliser cette vision, en proposant à la population juive israélienne de marcher ensemble sur le chemin de la paix :

Pourquoi ne pas rêver et espérer ? Car la révolution n’est-elle pas la concrétisation des rêves et des espoirs ? Travaillons donc ensemble pour que mon rêve se réalise, pour que je revienne avec mon peuple sortant de l’exil, en Palestine, pour vivre avec ce combattant juif de la liberté et ses partenaires, avec ce prêtre arabe et ses frères, dans un État démocratique où chrétiens, juifs et musulmans vivent dans la justice, l’égalité et la fraternité.

Rappelons que les juifs d’Europe et des États-Unis sont connus pour mener les luttes pour la laïcité et la séparation de l’Église et de l’État. Ils ont également lutté contre les discriminations fondées sur la religion. Comment peuvent-ils alors refuser ce paradigme humain pour la Terre sainte ? Comment peuvent-ils continuer à soutenir la politique nationale la plus fanatique, la plus discriminatoire et la plus verrouillée ?

En ma qualité officielle de président de l’OLP et de dirigeant de la révolution palestinienne, je proclame devant vous que lorsque nous parlons de nos espoirs communs pour la Palestine de demain, nous incluons dans notre perspective tous les juifs qui vivent actuellement en Palestine et qui choisissent de vivre avec nous dans la paix et sans discrimination.

En ma qualité officielle de président de l’OLP et de dirigeant de la révolution palestinienne, j’appelle les juifs à se détourner un à un des promesses illusoires que leur font l’idéologie sioniste et les dirigeants israéliens. Ils offrent aux juifs un bain de sang perpétuel, une guerre sans fin et un esclavage permanent.

Nous leur offrons la solution la plus généreuse pour que nous puissions vivre ensemble dans le cadre d’une paix juste dans notre Palestine démocratique.

Il a terminé ce discours dans le style de Martin Luther King en annonçant : « Aujourd’hui, je suis venu avec un rameau d’olivier et un fusil de combattant de la liberté. Ne laissez pas le rameau d’olivier tomber de ma main. Je le répète : ne laissez pas le rameau d’olivier tomber de ma main ».

Les origines de la stratégie du mini-État palestinien

Mais, bien sûr, le pouvoir étant ce qu’il est dans le monde impérialiste d’aujourd’hui, les opprimés apprennent parfois qu’un certain degré de pragmatisme est nécessaire, qu’il soit juste ou non. Israël et les États-Unis ont rejeté l’idée d’un État démocratique avec des droits égaux pour tous les peuples d’Israël/Palestine ; et il était difficile de convaincre la majorité des juifs israéliens, qui étaient privilégiés avec un État ethno-suprématiste pour eux-mêmes dans 80 % de la Palestine, de le partager avec le peuple palestinien sur une base démocratique, comme le proposait l’OLP.

En conséquence, nous avons assisté à l’émergence du concept d’un mini-État palestinien établi dans toute partie de la Palestine qui pourrait être libérée en premier. Cette évolution a été annoncée par le FDLP qui, en juillet 1971, a appelé à la mise en place d’un « point d’appui fiable et libéré dans les territoires occupés qui assurerait la continuité de la révolution palestinienne ». Le « programme en 10 points » de l’OLP, accepté lors de la 12e réunion du Conseil national palestinien (CNP) en juin 1974 (8), continuait à rejeter la résolution 242 des Nations unies (signée par l’Égypte, la Jordanie et la Syrie) qui traitait la question palestinienne seulement comme un problème de réfugiés plutôt que comme une question d’autodétermination nationale. Toutefois, certaines formulations commençaient à laisser entendre qu’un mini-État pourrait être accepté dans une partie de la Palestine comme une étape dans la lutte engagée.

En particulier, le point 2 est libellé comme suit : « L’Organisation de libération de la Palestine emploiera tous les moyens, et en premier lieu la lutte armée, pour libérer le territoire palestinien et établir l’autorité nationale indépendante et combattante du peuple sur chaque partie du territoire palestinien libéré. Cela nécessitera de nouveaux changements dans le rapport de forces en faveur de notre peuple et de sa lutte. »

Le point 3 soulignait que l’OLP rejetterait tout accord qui l’obligerait à reconnaître Israël ou à renoncer au droit au retour des réfugiés palestiniens ou à leur droit à l’autodétermination ; et le point 4 soulignait que « tout pas vers la libération est un pas vers la réalisation de la stratégie de l’Organisation de libération consistant à établir l’État palestinien démocratique spécifié dans les résolutions des précédents Conseils nationaux palestiniens », c’est-à-dire une Palestine démocratique et laïque, du fleuve à la mer.

Cependant, comme le point 2 indiquait que la lutte serait menée par « tous les moyens », même si la lutte armée était alors considérée comme « première et principale », il y avait matière à faire de nombreux accords. L’idée d’établir une autorité palestinienne sur toute partie de la Palestine pouvant être libérée en premier était généralement comprise comme se référant aux 22 % de la Palestine nouvellement occupés par Israël en 1967, c’est-à-dire la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et Gaza. Il était clair que la lutte armée était nécessaire pour en finir avec l’occupation israélienne illégale de ces territoires ; tandis que l’implication selon laquelle d’autres formes de lutte pourraient être utilisées a été comprise comme signifiant que, si une autorité palestinienne était établie dans les territoires de 1967, alors la lutte en cours pour la démocratisation des 78 % d’« Israël de 1948 », et pour le droit au retour des réfugié·es palestiniens, victimes du nettoyage ethnique de 1948, dans toute la Palestine, pourrait prendre la voie de la résistance civile et politique, des négociations, de la lutte diplomatique, sur une plus longue période. Ainsi, bien qu’une « paix » totale avec Israël, une « reconnaissance » d’Israël, soit hors de question, une trêve à long terme pourrait être établie.

Bien que tout cela ne soit qu’implicite dans le programme de 1974, la formulation était nécessairement un compromis entre les différentes organisations de l’OLP. En pratique, l’organisation dominante d’Arafat, le Fatah, et les organisations de l’OLP qui lui étaient alliées (par exemple, à l’époque, le FDLP) l’interprétaient de la manière la plus large à la fin des années 1970 (tandis qu’un « front du refus » composé d’organisations de l’OLP plus radicales et opposées à tout compromis se formait également). Le FDLP a de nouveau été le pionnier du changement en 1975 en appelant à « un État-nation palestinien pleinement souverain sous la direction de l’OLP » dans les territoires occupés, associé au droit au retour des réfugiés dans toutes les parties de la Palestine. Le 13e CNP de 1977 a renforcé « l’autorité de combat » du 12e CNP, les Palestinien·nes établissant « leur propre État national indépendant sur leur sol national ». En outre, le CNP a souligné « l’importance de la connexion et de la coordination avec les forces progressistes et démocratiques juives à l’intérieur et à l’extérieur de la patrie occupée, qui luttent contre le sionisme ».

L’OLP et « la solution à deux États »

Mais si même l’aile la plus « modérée » de l’OLP avait encore ses lignes rouges très strictes (droit au retour, le mini-État n’est qu’une étape vers la libération totale et donc aucune reconnaissance d’« Israël »), peu de temps après, l’orientation du mini-État a été reprise par les États arabes, l’Union soviétique et ses alliés et, plus tard, par les pays d’Europe occidentale, et s’est durcie pour devenir « la solution » à deux États, qui impliquait une situation permanente. Dans cette optique, si Israël permettait la création d’un État palestinien dans les 22 % de la Palestine considérés légalement comme des « territoires occupés », cela devrait conduire à une reconnaissance mutuelle entre ce grand Israël et la petite Palestine, et le droit au retour des réfugié·es en Israël lui-même a été progressivement réduit – soit au retour de « certains » et à une « compensation » pour d’autres, soit à une suppression pure et simple. Cette « solution à deux États » à grande échelle peut en effet être considérée comme un abandon de la liberté palestinienne « du fleuve à la mer ».

Entre ces deux positions, la direction de l’OLP-Fatah savait qu’elle devait manœuvrer sur le plan diplomatique. Sa position était essentiellement la suivante : si la lutte armée et diplomatique palestinienne pouvait établir un mini-État laïque et démocratique tout en obtenant le droit au retour des réfugié·es dans l’État d’Israël, et si une lutte civile au sein d’Israël pour mettre fin à l’État ethnocratique et raciste et le remplacer par un État laïque et démocratique aboutissait, il ne servirait à rien d’avoir deux États démocratiques et laïques, de sorte qu’ils finiraient peut-être par n’en former qu’un seul ; le retour des réfugié·es en Israël et « l’égalité pour les arabes palestinien·nes en Israël » conduiraient « finalement à une résolution ultime de la question nationale palestinienne par l’établissement d’un seul État unifié et démocratique sur toute la terre de Palestine, où l’égalité prévaudra entre tous les citoyens indépendamment de leurs origines ethniques, religieuses ou nationales, y compris l’égalité entre les sexes ». La coexistence des deux États avec une trêve dans le cadre d’une lutte citoyenne pour la démocratie pourrait même être une étape nécessaire pour conquérir la classe ouvrière israélienne et la sortir de la paranoïa sur laquelle se fonde l’idéologie sioniste.

Rétrospectivement, de nombreux libéraux affirment que l’acceptation progressive par l’OLP d’une sorte de scénario à deux États a constitué un abandon bienvenu de l’idée « du fleuve à la mer », de sorte que si quelqu’un brandit ce slogan aujourd’hui, c’est qu’il s’agit d’un extrémiste visant à « anéantir Israël », etc. Mais de nombreux critiques de gauche, y compris au sein de l’OLP, y ont vu une capitulation et un rejet de la perspective de libération du fleuve à la mer. Toutefois, si l’on considère les choses de la manière décrite ci-dessus, l’acceptation progressive par l’OLP d’une phase de transition vers deux États n’était pas un abandon de la liberté palestinienne « du fleuve à la mer » ; l’élément essentiel est le maintien du droit au retour des réfugié·es de 1948.

En janvier 1976, une résolution (9) a été présentée au Conseil de sécurité des Nations unies (10) par un certain nombre d’États du Sud demandant la création d’un État palestinien indépendant dans les territoires occupés après le retrait israélien et la reconnaissance de « tous les États de la région ». L’OLP a exprimé son soutien à cette motion, à laquelle les États-Unis ont opposé leur veto (la France a soutenu la résolution tandis que le Royaume-Uni s’est abstenu). De même, l’OLP a accueilli favorablement la résolution 35/207 de l’Assemblée générale des Nations unies en 1980 (11), qui, outre les appels annuels au retrait total d’Israël des territoires occupés en 1967 et au retour des réfugié·es, ajoutait un soutien pour le peuple palestinien à « l’établissement de son État indépendant en Palestine ». L’OLP a également exprimé son soutien à des propositions similaires faites par le dirigeant soviétique Leonid Brejnev (12) en 1981, selon lesquelles le retrait israélien et l’établissement d’un mini-État palestinien devraient aboutir à « la sauvegarde du droit de tous les États de la région à la sécurité, à l’existence indépendante et au développement, à la fin de l’état de guerre et à l’établissement de la paix entre les États arabes et Israël ». Ces formulations ont laissé les 78 % de la Palestine à Israël (même si la lutte non militaire pour la démocratie et le retour des réfugié·es se poursuivra). Donc, cette concession majeure ressemble encore moins à l’idée de « jeter les juifs à la mer ».

Bien entendu, Israël a toujours refusé de se retirer des territoires occupés et a rejeté tout État palestinien, ne serait-ce que sur un mètre carré de la Palestine. Depuis les années 1970, il a progressivement rempli la Cisjordanie de « colons » (israélien·nes) fanatiques, armés et religieux, qui volent de grandes surfaces des terres palestiniennes et assassinent en toute impunité, ce qui témoigne de la revendication maximaliste d’Israël sur l’ensemble de la Palestine. Ainsi, l’État d’Israël désigne la Cisjordanie par le nom de « Judée-Samarie », nom donné à ces régions il y a des milliers d’années. En 1980, Israël a commis un acte de banditisme international en annexant officiellement (au lieu de simplement « occuper ») la Jérusalem-Est palestinienne, dont il s’était emparé illégalement en 1967 (il a également annexé le plateau du Golan en 1981, qui est un territoire syrien souverain).

Et depuis lors, Israël a été pleinement soutenu par les États-Unis dans cette position de refus absolu, alors même que la plupart des États de l’UE ont progressivement adopté une position de deux États. Israël et les États-Unis ont rejeté ensemble toute négociation avec l’OLP, qui avait été reconnue par tous les États arabes (et par l’Assemblée générale de l’ONU) comme le « représentant unique et légitime » du peuple palestinien. Alors qu’aucun pays au monde n’a reconnu l’annexion de Jérusalem-Est par Israël, ni comme nouvelle « capitale » d’Israël, l’administration Trump aux États-Unis a finalement fait sienne cette décision hautement illégale en 2017, et l’actuelle administration Biden n’a pas annulé cette violation flagrante du droit international.

Pour résumer : depuis la fin des années 1970, Israël et les États-Unis sont les États rejetant ce qui est devenu le consensus international, voté à une écrasante majorité par l’Assemblée générale des Nations unies chaque année, à savoir la création d’un État palestinien souverain avec Jérusalem pour capitale sur 22 % du territoire palestinien – comme si le fait de permettre au peuple autochtone d’avoir un État sur seulement un cinquième de son territoire constituait une concession généreuse aux Palestinien·nes !

Le plan de paix de Fès et la déclaration d’indépendance palestinienne

En 1982, à la suite de la guerre horriblement meurtrière menée pendant trois mois par Israël contre les Palestinien·nes au Liban, le 12e sommet de la Ligue arabe s’est tenu au Maroc, à Fès, et a proposé le plan de paix de Fès (13), pour un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza avec Jérusalem-Est comme capitale, en échange d’une reconnaissance arabe implicite d’Israël dans ses frontières légales (c’est-à-dire 78 % de la Palestine), la déclaration incluant « des garanties de paix entre tous les États de la région, y compris l’État palestinien indépendant ». Elle revendique les « droits nationaux inaliénables et imprescriptibles » des Palestinien·nes sans appeler explicitement au retour, mais ajoute un appel à « l’indemnisation de ceux qui ne désirent pas revenir », ce qui implique que celles et ceux qui le désirent doivent être autorisés à le faire. L’OLP et tous les États arabes, à l’exception de la Libye de Kadhafi, ont signé ce plan.

Bien entendu, cette proposition a été rejetée par Israël et les États-Unis, et Israël a concrétisée ce rejet en organisant et en facilitant aussitôt le massacre de 3 000 réfugié·es palestinien·nes à Sabra-Chatila, au Liban, par l’intermédiaire du groupe d’extrême droite la Phalange libanaise (le massacre a été dirigé par Elie Hobeika, qui a ensuite pris la tête de l’aile pro-Assad de la Phalange).

La déclaration d’indépendance palestinienne (rédigée par le poète palestinien Mahmoud Darwish) a été proclamée par Yasser Arafat le 15 novembre 1988 à Alger (14), à l’issue de la 19e réunion du Conseil national palestinien (CNP) qui avait adopté cette déclaration à une écrasante majorité. De manière significative, la déclaration cite la résolution 181 des Nations unies de 1947, qui avait initialement partagé la Palestine en un État juif à 56 % et un État arabe à 43 %, reconnaissant ainsi implicitement Israël. Dans les conditions actuelles, une revendication de 43 % de la Palestine (y compris le droit au retour dans le reste du territoire) serait une solution bien plus juste que les 22 %, compte tenu du nombre respectif d’Israélien·nes et de Palestinien·nes entre le fleuve et la mer ; dans la pratique, cependant, cela signifie une tentative plus énergique d’obtenir une souveraineté palestinienne reconnue sur les 22 % considérés comme « occupés ». Fait notable, dans l’esprit de 1969, la déclaration fait référence à la Palestine comme étant la « terre des trois religions monothéistes ».

À l’Assemblée générale des Nations unies, la déclaration d’indépendance palestinienne a été reconnue (15) par l’écrasante majorité des États membres, seuls deux d’entre eux ayant voté contre : les États-Unis et Israël.

C’était une époque pleine d’espoir : fin 1987, la première Intifada palestinienne avait éclaté ; des milliers de jeunes Palestinien·nes avaient affronté les forces d’occupation israéliennes en Cisjordanie et à Gaza avec des pierres, mais sans armes à feu ; Israël avait bien sûr réagi par des massacres. Le monde commençait à voir différemment Israël et la Palestine. Cependant, deux événements historiques mondiaux – l’effondrement du bloc de l’Est et de l’URSS en 1989-1991, ainsi que l’invasion du Koweït par l’Irak et la guerre menée par les États-Unis pour le vaincre en 1991 – ont eu des répercussions catastrophiques pour la Palestine, pour des raisons qui dépassent le cadre de cet essai.

Les fatidiques accords d’Oslo

Le résultat a été la poursuite de l’adaptation, malgré la déclaration audacieuse de 1988. En 1993, la direction de l’OLP/Fatah a accepté le processus d’Oslo, impliquant la reconnaissance d’Israël en échange d’une autorité palestinienne impuissante sur une fraction seulement des territoires occupés, dont Israël a retiré ses troupes (mais pas son contrôle global). Bien entendu, cela supposait qu’il ne s’agissait que de la première étape et qu’elle serait suivie de négociations avec Israël et les États-Unis sur les frontières définitives, le statut de Jérusalem, la question des réfugié·es et ainsi de suite, dans l’espoir qu’Israël se retire progressivement d’une partie de plus en plus importante de la Palestine. En d’autres termes, la position officielle de l’OLP restait celle d’un État palestinien sur la totalité des 22 %, mais, quelle que soit la manière dont on l’envisage, c’était une nouvelle concession majeure en ce qui concerne la reconnaissance d’Israël, basée entièrement sur la confiance.

Alors que tous les soutiens initiaux de l’OLP au scénario des deux États incluaient le droit au retour des réfugié·es dans l’ensemble de la Palestine/Israël – ce qui n’était donc pas nécessairement en contradiction avec l’expression « du fleuve à la mer » – Oslo peut être décrit comme la première fois où les dirigeants de l’OLP/Fatah ont effectivement renoncé à ce droit. Bien sûr, ils ont continué à insister sur le fait qu’il s’agissait de leur politique, mais en reconnaissant Israël alors que la question des réfugié·es était simplement reléguée à de futurs pourparlers sur le « statut final », ils s’en remettaient effectivement à la bonne volonté d’Israël sur une question qu’Israël avait toujours rejetée.

Par conséquent, ceux qui prétendent aujourd’hui que l’OLP a abandonné « du fleuve à la mer » avec la « solution » à deux États, et qu’il ne s’agit aujourd’hui que d’un slogan « extrémiste » ou « du Hamas », glorifient en tant que « modèle de paix » la capitulation totale d’Oslo. Il est important de noter qu’Oslo n’a pas seulement été rejeté par toutes les autres composantes de l’OLP, mais qu’il a également été rejeté au sein du Fatah, même par ses dirigeants. Il ne fait aucun doute que l’opinion ultra-majoritaire au sein du mouvement de libération palestinien dans son ensemble rejette la capitulation d’Oslo et continue de considérer que la Palestine s’étend du fleuve à la mer, quelle que soit la forme qu’elle prendra.

Bien entendu, comme beaucoup l’avaient prédit, Israël en a profité pleinement, refusant même de discuter des questions du statut final et remplissant la Cisjordanie et Jérusalem de centaines de milliers de colons israéliens illégaux (environ 700 000 aujourd’hui) qui ont volé la moitié du territoire et vivent comme des rois autour des bantoustans palestiniens séparés et enfermés, où « l’Autorité » palestinienne n’a aucune autorité réelle, tandis que la population palestinienne n’a aucun droit dans un Israël d’apartheid, et est constamment dépossédée, expulsée, humiliée aux points de contrôle et tuée en toute impunité.

C’est cette trahison israélienne totale et absolue des fausses promesses d’Oslo qui a conduit directement au déclenchement de la deuxième Intifada, beaucoup plus violente, en 2000, et à la montée en puissance du Hamas, une formation « islamiste » radicale extérieure à l’OLP dont l’idéologie et les actions (initialement ses attentats suicides) allaient éroder le message de paix et de coexistence que l’OLP avançait depuis 1969 – au profit du régime israélien qui s’en est servi comme d’une excuse ultra-hypocrite pour proclamer qu’il n’a pas de « partenaire pour la paix » en Palestine !

La mascarade de « l’offre généreuse » de 2000

Un incident important doit être abordé ici : l’affirmation souvent faite par les sionistes et leurs partisans selon laquelle l’OLP s’est vu offrir « 95 % » de ce qu’elle voulait par le président américain Clinton et le Premier ministre israélien Ehud Barak en 2000, mais qu’Arafat s’est « désisté » de cette « offre généreuse » et a, au contraire, déclenché la seconde Intifada.

La première question est de savoir si Arafat avait le droit d’accepter « 95 % » de ce qui n’était que 22 % de la Palestine, alors que la moitié de la population de la région était désormais palestinienne et – comme l’a clairement affirmé Barak – sans droit de retour pour les millions de réfugié·es de la Nakba de 1948. Il est certain que, par souci d’équité, tout compromis territorial aurait dû venir de la partie qui possède 78 % de la Palestine nettoyée ethniquement.

Deuxièmement, le chiffre de 95 % n’inclut pas Jérusalem-Est, la mer Morte, la vallée du Jourdain ou les colonies israéliennes, ce qui signifie qu’il s’agit plutôt de 70 % des territoires occupés, soit environ 15 % de la Palestine.

Troisièmement, l’omission, par le régime d’occupation illégale, de Jérusalem-Est, partie palestinienne, annexée est cruciale. Israël a proclamé que cette ville était sa capitale éternelle « indivise », rejetant toute division ou même tout partage de Jérusalem-Est (l’idée de faire de Jérusalem-Est la capitale partagée de deux États a été évoquée dans de nombreuses propositions de paix). Pour quiconque s’est renseigné sur la situation au-delà du niveau superficiel, ou s’est rendu sur place, il est clair que Jérusalem-Est n’est pas facultative pour un État palestinien, c’est le cœur géographique, économique et culturel de la Cisjordanie ; tous les chemins mènent à Jérusalem. Omettre Jérusalem signifie simplement bantoustaniser. En outre, Jérusalem-Est annexée a été étendue par Israël à quelque 70 kilomètres carrés, avec les colonies israéliennes qui enserrent la ville, elles aussi considérées comme hors de Palestine.

En fait, comme l’explique Naseer Aruri, professeur émérite de sciences politiques à l’université du Massachusetts, « le mythe de “l’offre généreuse” consistait en quatre enclaves, coupées en deux par des colonies illégalement construites et des routes de contournement réservées aux juifs, qui auraient empêché les Palestinien·nes d’établir un État viable, indépendant et d’un seul tenant dans la région située entre le Jourdain et la mer Méditerranée ». (16) Bien que les quatre cantons (nord de la Cisjordanie, centre de la Cisjordanie, sud de la Cisjordanie et Gaza) aient pu être qualifiés d’« État », les exigences d’un État-nation faisaient cruellement défaut. Il s’agirait d’un État sans souveraineté, sans continuité géographique et sans contrôle de ses frontières, de son espace aérien et de ses ressources économiques et hydriques. En fait, il aurait consisté en 64 groupes d’îles au milieu d’Israël – un « État » existant à l’intérieur d’Israël, mais pas à côté d’Israël.

Il est clair que Clinton et Barak visaient le rejet par les Palestinien·nes de cette « offre » effroyable.

Le plan de paix arabe

Le plan de paix arabe de 2002, lancé par l’Arabie saoudite et approuvé par l’ensemble de la Ligue arabe, y compris l’OLP, reprenait pour l’essentiel le plan de Fès, mais cette fois-ci en explicitant la reconnaissance d’Israël et en déclarant que le conflit israélo-arabe serait « terminé » si Israël se retirait des territoires qu’il a occupés en 1967 (y compris les hauteurs du Golan syrien) et autorisait la création d’un État palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale. En ce qui concerne les réfugié·es, il se contente d’appeler à « une solution juste au problème des réfugiés palestiniens, à convenir conformément à la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies ». (17)

Bien entendu, cette proposition a été rejetée par Israël et les États-Unis.

Il est donc clair que, des décennies plus tard, Israël et les États-Unis sont toujours les États qui rejettent toute solution démocratique, alors que les dirigeants palestiniens visent toujours officiellement la liberté des Palestinien·nes, du fleuve à la mer, de la manière la plus conciliante possible. Dans la pratique, la situation est bien pire, car l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah s’est transformée, sous Oslo, en un instrument de l’occupation israélienne dans les bantoustans qu’elle est habilitée à gérer, en lançant des mesures de répression « sécuritaires » à l’encontre des militant·es palestinien·nes les plus combatifs.

Le Hamas

Mais qu’en est-il du Hamas ? Le Hamas – Mouvement de résistance islamique – vise certainement une « Palestine islamique » et est donc également une force rejetant toute solution démocratique. Une force née de la colonisation, de la dépossession et de la brutalité israélienne et de l’attitude conciliatrice de l’Autorité palestinienne, mais néanmoins une force de rejet de la solution démocratique d’une manière qui menace la population juive israélienne. Sa rhétorique et ses actions initiales, ainsi que sa charte, le suggèrent certainement.

Bien que cette question mérite un article à part entière, il est important de noter dans ce contexte que le Hamas n’est pas la première organisation de résistance sur la planète à avoir démarré « extrémiste » avant de s’adapter à la réalité. Notamment, lorsque le plan de paix arabe a été présenté au sommet suivant de la Ligue arabe à Riyad en 2007, et à nouveau approuvé par tous les États, le Hamas, qui avait été élu à la tête de l’Autorité palestinienne, s’est abstenu mais n’a pas voté contre (Israël l’a à nouveau rejeté).

Ce vote n’est pas un fait isolé. Le Hamas a renoncé aux attentats suicides en 2003, puis, de manière plus décisive en 2005, il a battu le Fatah lors des élections nationales pour l’Autorité palestinienne de 2006 et a présenté les fameuses propositions de Hudna (cessez-le-feu). Fondamentalement, la Hudna est la même chose que la proposition de deux États, mais avec un cessez-le-feu à long terme remplaçant une paix totale avec reconnaissance (18). Le Hamas a déclaré que la lutte armée était nécessaire pour libérer la Cisjordanie et Gaza, mais que si un mini-État palestinien y était établi avec Jérusalem pour capitale, le Hamas instaurerait un cessez-le-feu de dix ans avec Israël, qui pourrait être étendu à des décennies si Israël maintenait la paix, pendant lesquelles la lutte civile se poursuivrait pour la liberté des Palestinien·nes (y compris le retour) en Israël. Cela allait de pair avec les déclarations des principaux dirigeants du Hamas selon lesquelles leur lutte était dirigée contre le sionisme et l’occupation, et non contre les juifs, qu’ils ne voulaient pas « jeter à la mer », ce qui a ensuite été intégré dans leur nouveau programme politique (19). Même la question de la reconnaissance d’Israël a été déclarée « décision du peuple palestinien » dans le projet de programme gouvernemental du Hamas en 2006 (20).

Mais c’était un problème pour les dirigeants israéliens. Le Hamas n’était utile à Israël qu’en tant que pôle « extrémiste » pouvant justifier la poursuite du rejet israélien (21). Un Hamas plus pragmatique constituait un problème désastreux pour Israël. Israël était tellement terrifié par la paix qu’il a assassiné le médiateur du Hamas, Ahmed Jabari, juste après que celui-ci eut reçu le projet d’accord de trêve permanente avec Israël, qui comprenait des mécanismes de maintien du cessez-le-feu (22), qu’il avait négocié avec le médiateur israélien Gershon Baskin. La réaction à plus grande échelle d’Israël a été d’enfermer Gaza, où le Hamas dominait, dans un blocus terrestre, maritime et aérien de 16 ans, qui a réduit Gaza à des conditions que les Nations unies ont qualifiées « d’invivables » (23), tout en bombardant régulièrement ce ghetto, fermé et extrêmement dense, pour le réduire en cendres et en tuant des milliers de civils. Tout cela visait, entre autres, à faire régresser politiquement le Hamas pour en faire ce que les dirigeants israéliens extrémistes préféraient appeler un « partenaire de guerre ». Un objectif apparemment atteint. Et à maintenir la division de la Palestine de 1967 entre Gaza, gouvernée par le Hamas, et la Cisjordanie, gouvernée par la pathétique Autorité palestinienne. Cette situation cauchemardesque a également facilité la mise en place d’un régime interne plus répressif dirigé par le Hamas à Gaza.

Les conséquences de cette réduction de Gaza à un camp de concentration sous bombardements ont été mises en évidence par la violence effroyable qui a explosé dans le sud d’Israël le 7 octobre 2023, ce qui a permis à Israël de tenter de mettre en œuvre son véritable programme à long terme : le nettoyage ethnique complet de Gaza et de la Cisjordanie et la réalisation du programme du Likoud de suprématisme israélien du fleuve à la mer. Était-ce inévitable ?

Gaza, la centralité du retour des réfugié·es et le tournant de la Marche du retour

Le célèbre mouvement de la « Marche du retour » à Gaza en 2018-2019 a probablement marqué un tournant. Pour comprendre cela, il est important de revenir sur la question clé du droit au retour des réfugié·es palestinien·nes. Est-ce que peut-être les Palestinien·nes « en demandent trop » en espérant avoir le droit de retourner dans la Palestine de 1948 (Israël) ainsi qu’un État souverain dans 22 % de la Palestine ? En fait, le chiffre minuscule de 22 % ne peut se justifier que si le droit au retour est inclus. C’est surtout cela qui autorise à accepter l’accord sur les deux États dans le contexte de la liberté des Palestinien·nes du fleuve à la mer (il y a aussi la question de la citoyenneté de seconde classe des 20 % de Palestinien·nes à l’intérieur de l’Israël de 1948).

Et c’est Gaza qui met cela le plus en évidence. Même si nous devions, pour les besoins de l’argumentation, accepter l’abrogation de la résolution 194 des Nations unies ainsi que celle sur les droits humains élémentaires (selon lesquels le droit au retour des réfugié·es n’est pas négociable), même si nous devions ignorer les millions de réfugié·es palestinien·nes au Liban, en Syrie, en Jordanie et ailleurs, la question ne peut être ignorée à Gaza, où elle est essentielle pour comprendre le désastre.

Parler d’un État palestinien en Cisjordanie « et dans la bande de Gaza » représente un déséquilibre flagrant. La Cisjordanie a une superficie de 5 860 km² et la bande de Gaza de 360 km² ; Gaza ne représente donc qu’environ 6 % des territoires occupés. Pourtant, il y a quelque 3 millions de Palestinien·nes en Cisjordanie et 2,3 millions à Gaza. Si l’on inclut Jérusalem-Est, on peut dire que la Cisjordanie a une certaine viabilité en tant que partie d’un État indépendant, ce qui n’est pas le cas de la « bande » de Gaza.

Cela n’est pas dû à un quelconque accident, mais au fait que 80 % des « Gazaouis » ne sont pas des « Gazaouis » : ce sont des réfugiés et leurs descendants qui ont été expulsés de ce qui est devenu Israël en 1948 (24). Les villes et les villages d’où ils et elles ont été expulsés sont en grande partie ceux qui se trouvent de l’autre côté de la « frontière », au nord et à l’est de Gaza (en fait, la plupart d’entre eux se trouvaient à l’intérieur des frontières de « l’État arabe » proposé en 1947, avant qu’Israël ne viole ces frontières). C’est le cas de ceux qui ont été attaqués le 7 octobre. Les Palestiniens de Gaza considèrent les colonies israéliennes implantées dans ces régions comme étant des occupations illégales de leurs terres volées. Je ne fais pas cette remarque pour justifier l’horrible violence de ce jour-là, mais c’est certainement l’une des causes de cette fureur, lorsque les personnes expulsées de ces régions se sont échappées du camp de concentration.

Quoi que l’on pense de ce jour fatidique – qui, à mon avis, a été un désastre total pour le peuple palestinien, quelle que soit l’euphorie initiale de « briser le mur de la prison » – il souligne certainement le fait que le retour des réfugiés n’est pas un élément supplémentaire à la solution de la question palestinienne, mais une composante essentielle de celle-ci, à moins que l’État palestinien soit composé d’environ 50 % du territoire.

Et c’est là qu’intervient la Marche du retour. En 2018-2019, des milliers de Palestinien·nes ont marché, sans armes à la main, contre le mur qui sépare leur prison de leurs terres à l’intérieur d’Israël. Ces manifestations de masse entièrement pacifiques se sont poursuivies pendant un an, dans le but de dire au monde et au peuple israélien que « nous sommes toujours là ». La réponse du régime sioniste a été de tirer pour tuer et mutiler : 266 Palestinien·nes ont été massacrés, dont 50 enfants, et plus de 30 000 ont été blessés, dont 3 000 enfants (25). Selon l’ONU, « en 2020, on estime que 10 400 personnes souffriront de graves problèmes de santé mentale liés aux manifestations de la Grande marche du retour, et que près de 42 000 personnes auront des problèmes légers à modérés. Ces chiffres incluent plus de 22 500 enfants » (26). Il est stupéfiant que cet épisode massif de terrorisme sioniste ait été ignoré.

Il s’agissait presque certainement d’un point de non-retour.

La souveraineté indigène en Australie « d’un océan à l’autre ».

« Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre » exprime ainsi le point de vue selon lequel la « Palestine » existe dans toutes les parties de la Palestine ; la souveraineté de la population autochtone ne peut pas être simplement abolie. Quels que soient les accords « étatiques » conclus de manière temporaire ou même permanente, une « frontière » enfermant deux millions de réfugié·es palestinien·nes dans la « bande » ou « l’enclave » de Gaza (c’est-à-dire un ghetto) n’est pas une frontière pour la Palestine. La Palestine vit à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem, en Israël (Palestine de 1948) et dans la diaspora, dans le cadre du droit au retour, principalement en Israël.

Cela abolit-il le droit de la nation israélienne, qui, malgré ses origines violentes, existe également aujourd’hui (d’autant plus que la majorité de la population est née après 1948) ? Eh bien, pas selon la position de l’OLP depuis 1969, ni selon aucun des accords internationaux que la Palestine a toujours signés, comme cela a été bien démontré ci-dessus. Mais il y a aussi une autre façon de voir les choses, lorsque l’on considère les luttes des peuples indigènes dans d’autres États coloniaux.

Je prendrai l’exemple de l’Australie où je vis. Tout comme la colonisation sioniste de la Palestine était fondée sur le mythe selon lequel la Palestine était « une terre sans peuple pour un peuple sans terre », la colonisation britannique de l’Australie était fondée sur le mythe de la « terra nullius », c’est-à-dire d’une terre vide, n’appartenant à personne (doctrine finalement mise à mal par l’arrêté de la Haute Cour de Mabo en 1993).

Les Premières nations aborigènes d’Australie se considèrent comme « souveraines » sur l’ensemble du territoire australien. La plupart des Australiens de gauche et progressistes – et même une grande partie de l’opinion libérale dominante – acceptent ce concept comme signifiant que « la souveraineté n’a jamais été cédée », comme nous le déclarons dans Acknowledgements to Country (Reconnaissance au pays), et que le lien des Premières nations avec leur terre concerne toutes les parties de leur terre, indépendamment de ceux qui y vivent aujourd’hui et des formations politiques qui y existent. À l’exception des réactionnaires véritablement obscurantistes, personne ne croit sérieusement que la reconnaissance de la souveraineté des Aborigènes signifie qu’ils ont l’intention de « pousser les Australiens non indigènes à la mer ».

Non pas que l’Australie blanche soit particulièrement éclairée : lors du récent référendum, 60 % des Australien·nes ont voté contre une proposition des nations aborigènes visant à établir dans la Constitution une « voix » indigène purement consultative au parlement, afin de représenter partiellement leur souveraineté. Quoi qu’il en soit, la lutte se poursuit, les Premières nations faisant pression pour obtenir mieux que la « voix », rejetée et sans envergure, à savoir un traité entre les Premières nations souveraines et la nation australienne souveraine issue de la colonisation. De nombreux Australiens aborigènes se sont également opposés à la « voix » pour la raison opposée à celle de la plupart des électeurs blancs : parce qu’il s’agissait d’une proposition extrêmement faible alors qu’ils souhaitent un traité garantissant une représentation plus sérieuse et l’autodétermination en ce qui concerne leurs propres affaires.

Le dialogue national des Premières nations qui s’est tenu à Uluru, dans le centre de l’Australie, en 2017, et qui a appelé au processus « Voix-Vérité-Traité », a posé la question de la souveraineté de cette manière dans sa fameuse « Déclaration du cœur » :

Nos tribus aborigènes et insulaires du détroit de Torrès ont été les premières nations souveraines du continent australien et de ses îles adjacentes, qu’elles possédaient selon leurs propres lois et coutumes. […] Cette souveraineté est une notion spirituelle : le lien ancestral entre la terre, ou « mère nature », et les peuples aborigènes et insulaires du détroit de Torrès qui en sont nés, y restent attachés et doivent un jour y retourner pour s’unir à leurs ancêtres. Ce lien est à la base de la propriété du sol, ou mieux, de la souveraineté. Elle n’a jamais été cédée ni éteinte et coexiste avec la souveraineté de la Couronne. (27)

Pour celles et ceux qui lisent cela de l’extérieur de l’Australie : la souveraineté de « la Couronne », c’est ainsi que l’Australie blanche coloniale désigne l’État australien actuel, qui est toujours, malgré 122 ans d’indépendance, officiellement sous le grotesque vestige féodal d’un pays situé à l’autre bout du monde. La souveraineté des Premières nations « coexiste » avec celle de « la Couronne » partout en Australie, d’un océan à l’autre ; leur souveraineté n’existe pas seulement dans certaines régions largement arides où elles ont remporté des luttes pour les droits fonciers ou dans certaines régions à forte concentration d’Aborigènes.

La Déclaration du cœur d’Uluru se termine ainsi : « Nous vous invitons à participer avec nous au mouvement du peuple australien pour un avenir meilleur. »

La déclaration de Yasser Arafat à l’ONU en 1974 comprend également ce qui suit : « Nous leur offrons [aux Juifs israéliens] la solution la plus généreuse, afin que nous puissions vivre ensemble dans le cadre d’une paix juste dans notre Palestine démocratique. »

D’un océan à l’autre ; du fleuve à la mer. 

 

Michael Karadjis, enseignant en sciences sociales à l’Université de Sydney, est membre de Syria Solidarity Australia.

Cet article a été publié d’abord en anglais sous le titre « “From the River to the Sea” : Palestine’s historic struggle to share the land versus Israeli rejectionism » par le blog Their Anti-impérialism and Ours, puis repris par la revue australienne en ligne Links.

Traduit de l’anglais par JM.

notes

1) « Rashida Tlaib Posts Video Accusing Biden of Supporting ‘Genocide’ », New York Times, 3 novembre 2023.

2) « The Hateful Likud Charter Calls for Destruction of Any Palestinian State », Jonathan Weiler, Informed comment, 8 avril 2014.

3) Palestine : The solution – The Arabs proposals and the case on which they rest, The Arab Office, Wardman Partk, Washington, D. C., April 1947. The Arab Office de Washington était alors sponsorisé par les gouvernements des États arabes (Égypte, Irak, Liban, Arabie saoudite, Syrie, Transjordanie et Yémen) et enregistré auprès du Département de Justice des États-Unis. Disponible en PDF.

4) https://www.unrwa.org/content/resolution-194

5) Address by the Al-Fateh Delegation to the Second International Conference in Support of the Arab Peoples, Le Caire, janvier 1996.

6) Présentation du FDLP, par Maher Charif, historien palestinien marxiste.

7) https://al-bab.com/documents-section/speech-yasser-arafat-1974#sthash.aThCyhr3.dpbs

8) 10 Point Program of the PLO (1974), Political Program Adopted at the 12th Session of the Palestine National Council, Cairo, 8 June 1974.

9) S/11940.

10) Palestine question core of conflict – Vetoed draft resolution.

11) Résolution 35/207.

12) « The question of Palestine », Nations unies, 1991.

13) « Déclaration finale », 9 septembre 1982.

14) « Palestinian Declaration of Independence », 18 novembre 1988.

15) Résolution 43/177, 15 décembre 1988.

 

16) « Palestine: The reality of Israel’s “generous offer” », entretien de Naseer Aruri avec Anthony Arnove, 24 avril 2002, Socialist Worker.

17) « Plan de paix » de la Ligue arabe, 27 mars 2002.

18) « Hamas touts 10-year ceasefire to break deadlock over Israel », Ewen MacAskill et Harriet Sherwood, 1er novembre 2006, The Guardian.

19) « We will not sell our people or principles for foreign aid », Khalid Mish’al, 1er février 2006, The Guardian, « We Do Not Wish to Throw Them Into the Sea », 26 février 2006, et « Khaled Meshaal: Struggle is against Israel, not Jews », 6 mai 2017, Al Jazeera.

20) Projet de programme gouvernemental du Hamas, 12 mars 2006.

21) L’auteur utilise ici le terme « rejectionism », comme dans le titre initial de l’article.

22) « Israeli Peace Activist: Hamas Leader Jabari Killed Amid Talks on Long-term Truce », Nir Hasson, 15 novembre 2012, Haaretz.

23) « Gaza “invivable”, rapporteur spécial de l’ONU pour la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés à la troisième commission – communiqué de presse (extraits) », 24 octobre 2018.

24) « Where we work », Unrwa, août 2023, « Gaza’s Untold Story: From Displacement to Death », infographie, 17 septembre 2015, Al Mezan.

25) « Gaza’s Great March of Return protests explained », Huthifa Fayyad, 30 mars 2019, Al Jazeera.

26) « Two Years On: People Injured and Traumatized During the “Great March of Return” are Still Struggling », ONU, 6 avril 2020.

27) « Uluru statement from the heart ».