Mobilisation ouvrière et réaction patronale

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Fin 2012, dans un contexte de croissance économique, le mouvement ouvrier indonésien a obtenu d'importantes augmentations de salaire ainsi que des restrictions significatives de l'externalisation du travail. Il a donné une nouvelle preuve de sa puissance potentielle et de son rôle stratégique.

Djakarta, le 23 décembre 2012

Plusieurs mois de luttes ouvrières, surtout dans les zones industrielles du département de Bekasi, dans la province de Java occidental, ont culminé début octobre 2012 en une grève de 24 heures dans 80 zones industrielles, réparties autour de 24 villes (1).

Le mouvement a également forcé le Parlement à adopter la loi sur l'Office organisateur de la sécurité sociale (BJPS) qui doit mettre en œuvre la sécurité sociale et les soins de santé pour les travailleurs et les pauvres (2). Le mouvement syndical est divisé dans son évaluation du plan gouvernemental, qui est basé sur le modèle de l'assurance commerciale privée et signifierait une augmentation des taxes payées par les travailleurs. Mais l'énorme impact politique du récent mouvement ne peut être nié.

Synthèse actualisée Inprecor

Jamais depuis la chute de Suharto en 1988 les travailleurs indonésiens n'ont eu un tel sentiment de leur propre puissance. Les patrons l'ont compris et, lentement mais sûrement, ils organisent une contre-offensive. Les militants se tournent vers la Confédération des syndicats indonésiens KSPI, l'une des principales centrales syndicales du pays, et en particulier vers la Fédération syndicale indonésienne des métallurgistes (FSPMI), fondatrice de la confédération, qui ont organisé la majorité des grévistes du 3 octobre 2012, pour organiser une riposte.

Revendications essentielles

La récente vague de luttes ouvrières a exigé un salaire décent, la fin de l'externalisation du travail et des contrats d'intérimaires, l'arrêt des pratiques antisyndicales et de la criminalisation des dirigeants syndicaux ainsi qu'une sécurité sociale et un système de soins de santé plus justes.

Ces revendications sont cruciales pour modifier le rapport des forces en faveur des travailleurs. L'économie indonésienne a connu une croissance moyenne de 6 % au cours des deux dernières années, rendue possible du fait de l'existence d'un grand marché intérieur, de faibles coûts de production, d'une main d'œuvre flexible et pas chère et d'importantes ressources naturelles variées. Cette forte croissance économique alors que des vastes régions du monde sont aux prises avec des difficultés économiques fait de l'Indonésie une puissance capitaliste de plus en plus importante.

Pendant ce temps les attaques contre les droits syndicaux se poursuivent. Par exemple les compagnies des médias ont interdit les syndicats sur les lieux du travail et de nombreux dirigeants syndicaux ont été victimes de fausses accusations devant les tribunaux. En dépit de la croissance économique, les salaires réels ont diminué depuis 1998. Les salaires minimum sont basés sur une évaluation des besoins des travailleurs, les soi-disant " composantes salariales » telle que la nourriture, le logement, les vêtements, etc. Parce que le coût de la vie varie fortement d'une région à l'autre du pays, les salaires minimum sont fixés par région. Mais leur évaluation sous-estime le coût de la vie. Le fait que le mouvement a réussi à obtenir une augmentation du salaire minimum constitue un important pas en avant, mais cela ne garantit pas encore un niveau de vie décent, en particulier du fait de l'inflation.

Les pas en avant

L'augmentation significative des salaires minimum provinciaux — entre 7 % et 60 % — est une bonne nouvelle pour tous les travailleurs indonésiens. Les augmentations les plus fortes ont été obtenues dans les villes où les organisations ouvrières sont les plus actives et les plus militantes. Elles sont le résultat d'une série de manifestations ouvrières massives qui exigeaient que le coût de la vie soit recalculé.

Mais peu de temps après qu'une augmentation de 44 % ait été remportée à Jakarta, la Chambre de Commerce (KADIN) a fait pression sur le gouvernement pour obtenir des " exemptions » en faveur, en particulier, des industries de main d'œuvre, comme celles qui produisent des chaussures, des vêtements et le textile (3). La demande était accompagnée de menaces de fermeture des usines, de délocalisation des investisseurs et de licenciements massifs. Autrement dit, tous les arguments classiques contre l'augmentation de salaires (4). Et le ministère de l'industrie a approuvé l'exemption (5).

C'est surtout un coup contre les travailleuses, qui sont majoritaires dans ces entreprises.

Soixante entreprises de la zone KBN Cakung, qui emploient au moins 80.000 personnes (dont 90 % sont des femmes avec des contrats précaires) ont déclaré qu'elles " reportaient » l'augmentation des salaires (6). Les syndicats sont impuissants face à cela car les compagnies se basent sur une évaluatiFin 2012, le mouvement ouvrier indonésien a obtenu d'importantes augmentations de salaire ainsi que des restrictions significatives de l'externalisation du travail en Indonésie. Il a donné une nouvelle preuve de sa puissance potentielle et de son rôle stratégique. on faite par un " expert comptable public » qui a soi-disant déterminé leurs capacités financières et qu'il n'y a pas de procédures permettant aux syndicats de vérifier ou de contester cette évaluation.

Fin décembre 2012, le syndicat Forum du travail interentreprises (FBLP) a organisé un piquet à KBN Cakung contre deux compagnies qui ont forcé leurs salariés à signer des accords d'exemption de l'augmentation des salaires. Le FBLP organise également des rassemblements et des manifestations hebdomadaires contre les " exemptions » des augmentations des salaires.

La lutte pour l'abolition des l'externalisation des salariés et contre le travail intérimaire devra se poursuivre. La KSPI a proclamé que le fait que le ministère du Travail ait décidé de limiter l'externalisation à cinq secteurs — les restaurants, la sécurité, les chauffeurs, le nettoyage et les services dans les secteurs miniers — constituait une victoire. Mais en réalité, cette restriction a déjà été inscrite dans la loi en 2003 (7).

La véritable réussite ce fut l'obtention d'emplois permanents pour au moins 40.000 travailleurs, obtenue par les piquets de solidarité (appelés geruduk) (8). Le KSPI et la Sekber Buruh (Secrétariat commun du travail, une alliance des syndicats de gauche radicale) continuent à exiger la limitation de l'externalisation des emplois (9).

Contre-offensive

Les récentes avancées du mouvement ouvrier indonésien sont une source de problèmes pour le gouvernement du président Susilo Bambang Yudhoyono. L'Association indonésienne des employeurs (APINDO) a été parmi les premiers à réagir aux luttes prolongées des travailleurs en les menaçant de lockout (10). Avant cela, les entreprises de plusieurs zones industrielles de Bekasi ont formellement demandé la " protection » à la police et à l'armée, affirmant que leur management était menacé par les continuels piquets de solidarité. Les employeurs se plaignaient des " militants syndicaux violents » et affirmaient que leurs propriétés ont besoin de protection.

En même temps les sociétés ont engagé des voyous pour attaquer les travailleurs. La première attaque d'importance a été dirigée contre une chaîne de piquets des travailleurs de Samsung. Cette entreprise est tristement réputée pour ses activités antisyndicales et criminelles. La Fédération syndicale indonésienne des métallurgistes (FSPMI) est le premier syndicat qui a osé affronter Samsung.

Le 8 novembre 2012, après plusieurs attaques graves et des menaces, certains syndicats de Bekasi y compris la FSPMI, ont signé un accord de " paix sociale ». Cet accord a été signé par le maire de Bekasi, le président du parlement régional, le chef de la police, le commandant militaire local, les employeurs et leurs associations et les représentants des syndicats. Les maires des villages environnants l'ont signé également. Cet accord dénature l'instigation patronale à la violence, la présentant comme une confrontation mutuelle, et constitue un grave revers. Il légitime la répression des futures luttes ouvrières et il a mis fin aux piquets de solidarité, qui constituaient la principale forme de lutte des travailleurs de cette zone.

Pendant ce temps, la criminalisation des syndicalistes et les attaques contre eux se poursuivent et certaines entreprises, qui ont accepté de fournir aux travailleurs des contrats de travail à durée indéterminée, violent maintenant leur accord. Si les grèves ont toujours lieu, les piquets de solidarité sont devenus plus difficiles à organiser. Le Sekber Buruh a organisé récemment une grande manifestation devant l'Office central de la police contre les intimidations qui ont eu lieu à Bekasi.

Synthèse actualisée Inprecor

Du fait de la pression accrue du patronat il est difficile de maintenir le dynamisme du mouvement. Après les attaques des bandes patronales, le KSPI s'est montré hésitant pour organiser les piquets de solidarité. Son dirigeant, Said Iqbal, qui est bien vu des médias en tant que visage acceptable du militantisme syndical, n'y a pas mentionné les attaques constantes dont sont victimes les syndicalistes à Bekasi, malgré sa notoriété.

Deux projets de lois, qui pourraient nuire gravement aux droits démocratiques des travailleurs indonésiens, sont en préparation et devraient être adoptés en 2013. Il s'agit du projet de loi sur la sécurité nationale et du " projet de loi sur les organisations de masse ». Les organisations ouvrières ont compris cette menace politique et préparent la lutte contre ces propositions.

La classe capitaliste indonésienne apparaît être déterminée à inverser la tendance et à apprivoiser le mouvement ouvrier grandissant. Pour résister, les syndicats doivent prendre appui sur les expériences acquises et sur la confiance en soi des travailleurs construite au cours des luttes de ces derniers mois. ■

* Ariane Zely est militante de l'organisation socialiste-féministe Perempuan Mahardika (Femme libérée) et du Partai Pembebasan Rakyat (Parti de libération du peuple). Cet article a été écrit et a d'abord paru en indonésien (http://www.rakyatpekerja.org/perjuangan-klas-indonesia-para-bos-membalas/) et en anglais (http://internationalviewpoint.org).

(Traduit de l'anglais par JM)

notes
1. http://chinaworker.info/en/content/news/1893/

2. http://www.insideindonesia.org/current-edition/a-new-tactical-toolkit

3. http://www.thejakartaglobe.com/jakarta/minimum-wage-rise-undermines-cooperative-dispute-resolution-business/558968

4. http://www.thejakartaglobe.com/home/with-jakartas-minimum-wage-to-rise-44-bosses-warn-of-job-cuts/557342

5. http://www.thejakartapost.com/news/2012/12/18/industry-ministry-pushes-wage-hike-exception.html

6. http://www.thejakartaglobe.com/home/firms-call-for-delay-to-minimum-wage-hike/558198

7. http://www.thejakartaglobe.com/economy/indonesian-workers-demand-an-end-to-outsourcing/548109

8. http://www.internationalviewpoint.org/spip.php?article2745 et http://maxlaneonline.com/2012/09/27/report-national-strike-called-in-indonesia-for-october-3-by-max-lane/

9. http://www.thejakartaglobe.com/economy/workers-rally-against-indonesias-outsourcing-system-in-jakarta-protest/559913

10. http://www.thejakartapost.com/news/2012/11/07/businesses-vow-lock-out-workers.html

11. http://beritahukum.com/detail_berita.php?judul=Mabes+Polri+Didemo+Ribuan+Sekber+Buruh#.UNIKVeTqmBE