Le coup d’État bloqué

par Rahmane Idrissa

Au journaliste1 qui lui demande si elle préfère « des militaires qui prennent le pouvoir par la force plutôt qu’un président élu », la manifestante répond : « Nous préférons un président qui écoute les Nigériens, qui écoute la jeunesse nigérienne, qui éco ute toute la population nigérienne, c’est ça un président. »

La réponse était bonne, mais il n’en reste pas moins qu’une junte n’a cure de souveraineté démocratique. Lorsque celle de Niamey annonce une transition de trois ans, il ne peut être question de transition : c’est un mandat qu’elle exige – un mandat que, cependant, elle veut s’arroger sans consulter la population. Le fait de susciter des manifestations populaires ne vaut pas quitus de ce point de vue. Faute d’obtenir la souveraineté démocratique, elle cherche donc à se baser sur la souveraineté décoloniale, ce qui est d’autant plus aisé que la France se prête, en ce moment, « admirablement » au jeu. Mais on ne gouverne pas par l’émotion et la propagande (on peut, toutefois, tyranniser de cette façon).

À ce stade, la junte peut et doit débloquer la situation. En dépit de ses menaces guerrières, la Cédéao aurait du mal à intervenir au Niger dans les conditions actuelles. Seulement, les conditions peuvent changer. Tant que cette menace d’intervention existe, la junte de Niamey encourt le risque que quelque chose se produise qui la rendra réalisable et même aisée. Mais dans les conditions actuelles, la Cédéao préfère la diplomatie et la junte peut donc en profiter et s’engager, après des pourparlers, à une normalisation rapide tout en donnant à Tinubu les gages que Buhari2 n’a pas voulu demander aux Maliens et aux Burkinabés. Le fait de libérer Bazoum serait un premier pas, le fait de lui donner un rôle important dans le processus de normalisation ne serait pas une mauvaise chose. Le processus de normalisation aboutissant à une reconnaissance de la junte, cette dernière peut ensuite renoncer totalement à ses partenariats occidentaux durant cette période, si elle le souhaite. Comme je l’ai indiqué, une révision qui mettrait fin à l’existence de bases sans rompre la coopération serait préférable pour tous, mais on ne pourra pas empêcher la junte de faire des mauvais calculs pendant son temps au pouvoir. Les liens pourraient être renoués par la suite, sur des bases plus saines.

 

C’est la seule issue.

Pour l’instant, je suppose que la junte de Niamey calcule que le temps joue en sa faveur. Je ne crois pas que ce soit le cas. À moins d’un changement drastique de volonté politique à Abuja [capitale du Nigeria], le temps ne joue pas en sa faveur. Dans cette affaire, elle est l’acteur qui a fait un pari. Plus le pari tarde à se concrétiser, plus les risques d’un échec augmentent. Or, le blocage actuel est justement un empêchement opposé au succès de ce pari.

Il y a autre chose : quelqu’un a dit qu’il ne faut jamais gaspiller une crise. Une négociation avec la Cédéao pourrait être une occasion pour obtenir un appui accru de l’organisation ou du Nigeria à la lutte contre les groupes djihadistes, de manière directe ou indirecte, peut-être la mise en place de véritables mécanismes de sécurité collective à l’échelle de la région – un acte, enfin , de gouvernement et non pas seulement de cette vide souveraineté dont les pays africains ont le secret. Mais il en serait ainsi si le but de la junte était vraiment de résoudre ce problème.

Car cette situation ne doit pas faire oublier l’essentiel : les souffrances qu’endurent les populations au Niger et ailleurs, le risque croissant d’un renforcement des forces armées djihadistes qui ne chôment pas et le fait que la solution à ce péril – au nom duquel le putsch a été fait – se trouve de plus en plus remise aux calendes grecques. Tant que ce blocage durera ainsi, je ne peux qu’en conclure que la junte, à l’instar de ses collègues des pays voisins, place ses préférences politiques visibles et invisibles au-dessus de la quête sincère de solutions pour le bien-être effectif et la sécurité des populations dont elle prétend, elle aussi, être le sauveur.

Niamey, 29 août 2023

  • 1Journal télévisé de France 2, quelques jours avant l’écriture de cet article.
  • 2Muhammadu Buhari, né en 1942, a été chef d’État du Nigeria après le coup d’État militaire (1983-1985), puis président du Nigeria de 2015 à 2023.